En novembre 2017, des étudiantes de la haute école Francisco Ferrer ont introduit aux côtés d’Unia une action en cessation devant le tribunal de Première instance de Bruxelles contre le règlement d’ordre intérieur de l’établissement, dont le pouvoir organisateur est la Ville de Bruxelles. Le règlement de l’école supérieure de la ville de Bruxelles interdit le port de tout symbole politique, philosophique ou religieux. Un règlement contesté par deux étudiantes, s’estimant « victimes d’une discrimination indirecte sur la base de la conviction religieuse et du genre. »

En réponse à une question préjudicielle posée par le juge, la Cour constitutionnelle a estimé, en juin 2020, qu’une haute école peut interdire le port de signes convictionnels, pour créer un environnement scolaire « totalement neutre » où ne s’exerce pas une pression sociale de la part de ceux qui « rendent leur opinion visible ». Une ingérence acceptable dans la liberté religieuse, selon la Cour. Le raisonnement repose essentiellement sur la nécessaire pluralité de l’offre scolaire en Belgique.

Ce 24 novembre, le tribunal de première instance de Bruxelles a déclaré fondée l’action des deux étudiantes, estimant que le règlement des études de la haute école constituait une discrimination indirecte sur base de la conviction philosophique ou religieuse, prohibée par la législation relative à la lutte contre la discrimination. Le jugement, que Le Soir s’est procuré, ordonne la cessation immédiate de la discrimination.

La Cour considère que l’interdiction générale du port de tout signe reflétant une appartenance politique, philosophique ou religieuse appartient à un « aspect essentiel de l’organisation de l’enseignement » pour lesquels, en vertu de la Constitution, « seul le législateur est compétent ». Sauf qu’en l’occurrence, le décret neutralité de 1994, qui a pour but de réguler la diversité convictionnelle dans les écoles qui en relèvent, élude la question du port du signe convictionnel

Le jugement estime qu’« il n’appartient pas à une collectivité territoriale de remédier à une telle imprécision. Par conséquent, les dispositions du règlement des études de la haute école Francisco Ferrer qui interdisent de manière générale le port de signes reflétant toute conviction religieuse sont contraires à l’article 24, paragraphe 5, de la Constitution. »

La conclusion de la Cour est-elle une remise en cause de l’enseignement constitutionnel ? Non, tient à préciser le tribunal bruxellois, qui distingue le fait que si une telle interdiction est jugée compatible avec la neutralité de l’enseignement et la liberté de religion (ce qu’a prononcé la Cour constitutionnelle en 2020), la Ville de Bruxelles, comme toute autorité administrative, « ne peut agir que dans le respect de la légalité ». Pas question donc de s’arroger le pouvoir que réserve la Constitution au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

La controverse est cependant loin d’être éteinte. La Ville de Bruxelles, qui a la possibilité de faire appel de la décision, « prend acte et étudie l’ordonnance », explique-t-on du côté des cabinets de Philippe Close et de l’échevine de l’Instruction publique Faouzia Hariche (PS).

Un décret muet

En l’absence de décret, muet sur la question, ce sont les établissements – ou les juges – qui tranchent l’autorisation ou non du port de signes convictionnels. En Belgique francophone, les cinq hautes écoles, cinq écoles supérieures des arts et 29 établissements de promotion sociale sont concernés par la récente décision de Wallonie-Bruxelles Enseignement d’autoriser le port de signes convictionnels depuis la rentrée 2021. Côté officiel, les écoles de promotion sociale organisées par la Commission communautaire française et l’Ecole supérieure des arts du cirque ont déjà appliqué à la rentrée 2019 cette option, qui figurait dans l’accord de majorité de la Région bruxelloise.

Par contre, ce choix n’est pas suivi partout dans le reste de l’officiel lorsqu’il est organisé par les provinces : dans le Hainaut et à Namur, les règlements interdisent tout signe distinctif porteur de valeur religieuse. À Liège, le tribunal de première instance a donné raison en 2016 à seize étudiantes en estimant qu’interdire, dans le règlement de la haute école de la province de Liège, le port du foulard d’une façon générale contrevient à leur liberté de religion.

À l’Ecole royale militaire, on précise que « le personnel militaire et civil est tenu de se conformer au principe de neutralité et dès lors de ne pas porter ou exhiber de signes religieux ostensibles. » En revanche, les signes convictionnels sont autorisés dans les six universités et les établissements du réseau catholique, ainsi qu’en Flandre.

Source : Le Soir 30 novembre 2021