Par Maryse Bresson
L’aspiration démocratique dans nos sociétés interroge les modalités d’exercice et d’appropriation du pouvoir. Elle se heurte au problème majeur des inégalités d’accès aux décisions collectives comme, aux richesses. Il en résulte le besoin de repenser les conditions et modalités d’un nouveau partage : comment, et par qui ce nouveau partage sera impulsé ; sur quoi précisément il doit porter ; et qui doit en bénéficier, dans quelle mesure. C’est selon nous, à partir des réponses apportées à ces questions que le concept de participation ressurgit, se décline et se réinvente.
Dans le domaine des relations professionnelles, les travaux sur le néo-corporatisme ont mis en évidence comment l’État décide en s’appuyant sur des groupes professionnels constitués, dominants, invités à produire avec l’État des politiques concertées, en échange de formes de reconnaissance comme partenaire et d’une modération de leurs revendications (Clément, 2008). Dans le domaine des politiques sociales et urbaines, les concepts de participation et de démocratie sont plus souvent encore, directement au cœur des revendications. C’est donc dans ce domaine privilégié que nous allons donc maintenant approfondir l’analyse des logiques de variations du concept de participation, en construisant une nouvelle typologie à partir des voies d’action ou solutions concrètes proposées sur le terrain, pour se rapprocher de l’idéal démocratique. Parmi ces voies d’action, la participation peut prendre la forme d’une réorganisation de l’action publique et d’une recomposition des pouvoirs au sein de la puissance publique pour mieux exercer un contrôle sur la société – c’est le modèle que nous appelons la participation comme action publique. La participation peut aussi relever d’une initiative venue « d’en bas », de manière spontanée et qui doit ensuite trouver le moyen de se structurer – ce que nous désignerons par l’expression : action collective. Enfin la participation des acteurs « défavorisés » peut être d’origine externe, suscitée, guidée, bref, elle peut nécessiter une mobilisation ; le choix de ce terme vise à indiquer que l’initiative ou la « guidance » revient à d’autres acteurs –souvent, eux-mêmes représentants de la puissance publique ou agissant dans le cadre de politiques publiques. Suivant ce raisonnement, et pour chacun de ces trois modèles : l’action publique ; l’action collective ; et la mobilisation, nous préciserons l’échelle territoriale de la participation (niveau national, local…) ; les acteurs bénéficiaires du nouveau partage (du pouvoir, des richesses), le degré de partage prévu ; ainsi que le modèle de lien social et les limites de la participation.
La participation comme action publique
Le modèle de la participation comme action publique caractérise particulièrement la France. Dans ce pays, l’idée de partage du pouvoir, qui nourrit le concept de participation, est en effet généralement réinterprété dans le sens d’un réagencement des pouvoirs au sein des diverses institutions de la puissance publique, suivant différentes modalités. Concrètement, il peut s’agir de donner plus de pouvoir aux élus locaux et aux collectivités territoriales (au détriment par exemple, d’associations qui auraient pris trop de « pouvoir local ») ; ou, de donner une marge de manœuvre plus grande aux administrations déconcentrées des ministères ; ou encore, de recomposer les relations entre les acteurs publics pour favoriser leur mise en cohérence, dans le cadre de signatures de conventions…
C’est ce qu’illustre le mouvement de décentralisation en France, qui s’est développé en plusieurs phases à partir du début des années 1980. Martine Barthélémy rappelle l’espoir suscité alors dans le monde associatif, parce qu’il confondait décentralisation, participation et « pouvoir local » (Barthélémy, 2000). En réalité, la décentralisation en France a pris la forme d’un transfert de compétence de l’État central vers les pouvoirs publics locaux –de surcroît, lui-même atténué et partiellement contredit par les modalités de ce transfert. Par exemple, dans le domaine de l’aide sociale, ce sont les Départements qui en ont bénéficié : leur relative autonomie au sein de la puissance publique, grâce à leurs Conseils généraux élus, est toutefois limitée, puisqu’ils ont besoin de recevoir de l’État une compensation financière à ces nouvelles charges – compensation qu’ils dénoncent comme insuffisante. De plus, les départements correspondent à un découpage territorial directement issu de l’histoire de la révolution française, dans une logique de hiérarchie des échelons territoriaux et les ministères ont eux-mêmes, des administrations « départementales » déconcentrées (comme, les directions départementales du Ministère des affaires sociales). Par ailleurs, les services déconcentrés de l’État central à l’échelle du département mais aussi, de la région ont aussi obtenu une autonomie renforcée. Ces mutations ont donc contribué à produire le résultat d’une mosaïque d’acteurs et d’un empilement de structures qui, pour se coordonner, doivent passer des conventions entre elles et… avec l’État central. Au total, dans les réformes de décentralisation en France, la « société civile » n’est bénéficiaire directe d’aucun transfert de pouvoir décisionnel et n’est concernée que de manière (très) indirecte par ces recompositions au sein de la puissance publique, à travers l’argument de la « proximité » mobilisé aussi dans une autre réforme concomitante, celle de la politique de la ville.
Outre la décentralisation, la conception française de la participation comme action publique s’illustre en effet particulièrement dans la politique de la ville, qui a fait de ce concept un leitmotiv. La politique de la ville est menée par l’État central, afin de dépasser les limites des politiques sectorielles (c’est-à-dire, menées par les ministères) et de transformer les relations entre l’État et les acteurs locaux, tous invités à s’asseoir à la même table pour résoudre les problèmes sociaux des territoires. Mais cette position surplombante, faussement horizontale de l’État central place la politique de la ville dans une contradiction, soulignée par un auteur comme Daniel Béhar (Béhar, 1999). En fait, la politique de la ville en France s’inscrit en réalité dans une volonté plus large de réformer l’État, afin de passer de l’État providence à « l’État animateur » selon la formule de Jacques Donzelot et Philippe Estèbe (1994).
Concrètement, la politique de la ville affiche en effet l’ambition de traiter l’exclusion dans toutes ses dimensions en facilitant l’émergence d’initiatives nouvelles, là où le fonctionnement ordinaire (sectoriel) des institutions et des administrations se révèle impuissant. Elle prétend favoriser pour y parvenir, la « participation des habitants » -qui devient une condition incontournable pour obtenir des financements et donc une « injonction politique » (Donzelot, Mével, Wyvekens 2003). Mais cette injonction repose sur des dispositifs complexes et sur des mécanismes de contractualisation, qui se traduisent par une omniprésence de l’État central et par des formes de contrôle renforcés des acteurs publics sur les acteurs associatifs dépendant des subventions publiques.
C’est ce qu’illustrent les nombreuses lois promulguées comme la loi d’orientation pour la Ville (1991), le Pacte de relance de la politique de la ville (1996), la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU, 2000), la loi Démocratie de proximité (2002) ou encore la nouvelle loi de la politique de la ville en discussion en novembre 2013 au Parlement. En effet, toutes ces lois sont des initiatives du pouvoir central.
Et toutes, par la promotion de la procédure de contractualisation, aboutissent à contraindre les acteurs locaux à rendre des comptes sur sa bonne gestion et son efficacité. Par exemple la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain) du 13 décembre 2000 rend obligatoire, en la généralisant, la participation citoyenne au moyen de la concertation des habitants dans la rédaction des outils d’urbanisme tels le Plan local d’urbanisme (PLU), le Schéma de cohérence territoriale (SCOT) et la carte communale. La participation ici prend la forme particulière de la concertation c’est-à-dire que les habitants sont invités à donner leur avis sur des projets déjà présélectionnés. Les modalités concrètes ne sont pas précisées, mais il est demandé que concertation ait lieu suffisamment en amont, avant que le projet ne soit arrêté dans sa nature et ses orientations ; et que la durée soit suffisante pour permettre de recueillir les avis et observations du public. Ces termes utilisés disent à la fois, qu’il s’agit de repenser une meilleure gouvernance publique puisque la concertation invite à prendre en compte les aspirations des habitants ; mais aussi, que cette prise en compte se fait finalement, à la marge, sur la base d’un projet déjà fait par des élus et des techniciens. La loi sur la démocratie de proximité du 27 février 2002 prévoit la création de conseils de quartier dans les communes de plus de 80 000 habitants et autorise la désignation d’adjoints chargés d’un ou plusieurs quartiers. Dans certaines villes, ces conseils de quartiers constituent ainsi une modalité d’action publique qui vient faire concurrence aux comités de quartiers, qui s’étaient parfois déjà constitués sur une base associative. Par ailleurs, la mise en place d’appels à projets Politique de la ville, financés par les acteurs publics implique que pour recevoir des subventions, les associations doivent justifier de l’utilisation des financements qu’ils ont reçus afin d’en demander à nouveau. Chaque nouvelle demande pouvant être refusée, l’équilibre financier des associations subventionnées se trouve menacé.
Sans citer toutes ses manifestations et avant de présenter ses limites, il convient de souligner ce qui fait la force de ce modèle de participation comme action publique, notamment, en France et qui repose implicitement sur un modèle de société et de lien social au sens philosophique. En cohérence avec la conception républicaine française, la participation comme action publique confie en effet à la puissance publique la mission de restaurer la cohésion sociale, c’est-à-dire à la fois de « faire société » (Donzelot et al. 2003) et de « refaire nation » (Rosanvallon, 1995). Le gouvernement républicain selon cette conception, est pensée comme capable de porter l’exigence démocratique. Cette conception légitime aussi la primauté des élus nationaux sur les élus locaux pour définir une politique qui pourra être mise en œuvre par des acteurs associatifs dont la participation est assimilée à une forme de délégation de l’action publique – en revanche, cette conception peine sans-doute à trouver une articulation avec l’Europe au niveau supra-national (Barbier, 2008).
Cette limite n’est pas la seule. En particulier, la participation comme action publique en France, se traduit par un renforcement de la contrainte administrative et financière centrale à l’égard du secteur associatif subventionné. Elle produit aussi des formes d’instrumentalisation des associations. Par exemple, Rémi Lefebvre en France considère que la démocratie participative est « absorbée » par le système politique local qui est lui-même, gouverné par des notables et de moins en moins représentatif socialement (2007). Sur le terrain des centres sociaux associatifs, l’écart ressenti est donc grand entre les idéaux de démocratie participative et l’injonction publique à la « participation des habitants » (Bresson, 2004).
En résumé, le modèle de la participation comme action publique recouvre en France, mais aussi aux États-Unis, un enjeu de recompositions du pouvoir au sein-même de la puissance publique ; il se traduit par de multiples ramifications de ce pouvoir : délégation de service public, décentralisation, délocalisation …
C’est dans ce modèle que les dispositifs de participation sont souvent ressentis, et dénoncés comme une forme de manipulation et sont généralement boudés dans les quartiers par les habitants. La participation comme action publique est souvent dénoncée comme un leurre, et un échec ; mais ce diagnostic repose en réalité sur des glissements de sens, et aussi sur une confusion entre le modèle de participation comme action publique et un autre modèle à savoir, la participation comme action collective.
La participation comme action collective
La référence historique du modèle de participation comme action collective (ou nous pourrions dire aussi, comme mouvement social) est celle des « luttes urbaines » qui se développent un peu partout dans le monde, dans les années 1960-1970. Le concept de participation en ce sens désigne des initiatives militantes et un mouvement spontané « de la base », dont les acteurs s’organisent ensuite pour atteindre leur objectif. Par différence avec la participation comme action publique, la participation comme action collective ne vise donc pas la réorganisation des pouvoirs au sein de la puissance publique. Simultanément, elle affiche son ambition de contribuer à changer d’ordre social, ou économique. Pour autant, dans des sociétés dont le régime politique reste légitime du point de vue des idéaux démocratiques, elle ne renvoie pas à une action révolutionnaire, mais elle vise plutôt l’établissement de nouveaux contrepouvoirs.
Dans les luttes urbaines dans les années 1970 comme dans « la grande leçon américaine » associée au nom de Saül D. Alinsky, la « société civile », c’est-à-dire les habitants de ce quartier (classes populaires et classes moyennes) se revendiquent en effet comme des contrepouvoirs mais ne vont pas jusqu’à s’opposer au « gouvernement représentatif » légitime. D’autres expériences souvent prises en modèle illustrent même une forme d’articulation étroite avec les pouvoirs publics. C’est le cas, au tournant années 2000, de l’expérience menée à Porto Alegre au Brésil ; cette cité devient alors emblématique du renouveau du concept de participation, avec l’arrivée au pouvoir d’une coalition de gauche qui met en place l’expérience du « budget participatif » –c’est-à-dire, la possibilité pour les habitants des quartiers de définir démocratiquement l’affectation (d’une partie) des fonds municipaux. Notamment, les habitants sont libres de vouloir financer le développement de la ville dans le domaine de l’habitat, des transports en commun, du ramassage des ordures, des hôpitaux etc. C’est sous cette forme étroitement liée au pouvoir politique, que la participation est présentée au début des années 2000 comme une référence pour beaucoup d’acteurs associatifs en France. Par exemple, la Fédération des centres sociaux du Nord organise des réunions, produit des documents et même proposé des séances de formation des bénévoles sur l’expérience (Bresson, 2002).
La participation comme action collective peut aussi être désignée comme la « démocratie participative » ; elle revendique que ce soit « le peuple » lui-même (ou, une partie, constituée en nouveau mouvement social) qui prenne en mains son destin. Pourtant elle recherche aussi, dans un pays démocratique, une forme de reconnaissance par le pouvoir politique (élu) et par l’action publique. Compte tenu de cette limite implicite, la participation-action collective est en réalité, assez faiblement légitime pour transformer « vraiment » l’ordre social. Il en résulte que, les revendications participatives sont souvent limitées au périmètre de la proximité. Par exemple, dans le Nord de la France, la fédération des centres sociaux revendique de faire de la politique mais, dans la proximité ; elle n’intervient pas dans les élections sauf, au moment des présidentielles où elle organise des débats pour « faire remonter » les attentes des habitants, aux candidats à l’élection (Bresson, 2002).
L’action associative se met alors, au service d’un meilleur fonctionnement espéré du gouvernement représentatif et peut même parfois s’articuler directement à une attente des pouvoirs publics – notamment, pour lutter contre l’abstention et impulser des formes de participation au régime politique en place. Or, en ce sens, la participation glisse selon nous vers un autre modèle, que nous appelons la mobilisation.
Au total, le paradoxe de la participation comme action collective est qu’elle est à la fois, la référence centrale dans le domaine des politiques sociales et urbaines mais que pourtant, ce pivot n’est pas stable. Le concept est réinterprété en glissant soit vers l’action publique, dans un cadre d’instrumentalisation et de mise en œuvre des injonctions de la puissance publique ; soit vers la « mobilisation » des individus, en réponse à une attente exprimée par les pouvoirs publics et déléguée aux acteurs associatifs de faire partager l’aspiration démocratique à des individus ou des groupes qui s’en seraient éloignés.
La participation comme mobilisation.
La mobilisation est donc dans la typologie que nous proposons, le troisième modèle idéal-typique de la participation dans le domaine des politiques sociales et urbaines.
Tout en étant proche, et parfois confondue avec l’action collective, l’analyse qui précède invite à l’en différencier de différentes manières. Ainsi, alors que l’action collective, dans le modèle des luttes urbaines, s’inscrit dans une dynamique venue « de la base », donc, interne et idéalement, spontanée, le terme de mobilisation signifie que l’impulsion de départ et même, l’orientation du mouvement sont données depuis l’extérieur. En particulier, la mobilisation peut donc être impulsée à partir d’une action publique ou institutionnelle volontariste. De manière complémentaire, l’ambition est aussi différente : elle vise moins l’établissement de contrepouvoirs qu’une meilleure implication de chacun dans le fonctionnement de la société à travers des améliorations recherchées au niveau micro-local, voire, individuel. Suivant une autre différence en effet, la mobilisation n’est pas forcément collective : mais elle peut, dans certains cas, désigner un travail de l’individu sur lui-même.
Dans les faits, les modèles présentent de nombreux recouvrements. En effet, la conception de la participation comme mobilisation collective est sous-jacente dès les premiers textes de politique de la ville en France comme le rapport Dubedout (1982). La participation est explicitement présentée comme un instrument de remobilisation et d’implication citoyenne des habitants, conforme aux objectifs de cette politique de recréer du lien social dans les quartiers dits « sensibles ».
Un des exemples donnés est celui de l’Alma Gare à Roubaix, lorsqu’un quartier s’est mobilisé pour obtenir que son cadre de vie ne soit pas complètement détruit mais que par exemple, des espaces communs soient préservés pour remplacer les anciennes « courées » ouvrières. Dans cet exemple, la participation des habitants a commencé comme une action collective ; mais elle a ensuite évolué vers une mobilisation, le mot d’ordre de « co-production » du quartier par les habitants mettant en réalité les élus en position de décideurs ; par ailleurs l’objectif assigné aux « habitants » n’est pas de changer la société, mais d’agir sur leur cadre de vie quotidien.
Ce modèle de la mobilisation trouve ses traits les plus caractéristiques quand les pouvoirs publics, les élus et les techniciens du travail social et urbain sont à la fois, les initiateurs et les organisateurs du processus qui vise à « faire participer » les habitants. C’est ce qu’illustre un extrait d’un journal municipal d’une ville de région parisienne (Orsay). Ce journal édité et diffusé par la municipalité, intitulé Notre ville, présente en décembre 2008 les trois conseils de quartiers, qui se sont mis en place sur des quartiers différents. Dans cet article, trois phases du « processus participatif » sont distingués. La première phase consiste à « identifier les problèmes, synthétiser les requêtes et créer des commissions ou des groupes de travail ». Des intitulés de commissions créées sont indiqués : animation-intégration, lieu de vie, circulation et déplacement. Il s’agit donc, à travers ces intitulés, de cibler des problèmes de vie quotidienne et de proximité. L’article se conclut par ces formules : « Des solutions qui viendront de la mobilisation de ceux qui connaissent le mieux leur quartier : vous ! Résidants au quotidien », « c’est de notre mobilisation à tous que viendront les premiers résultats concrets ! » Cet extrait illustre comment, dans cet exemple, c’est la municipalité qui à travers son propre journal, prend l’initiative de mobiliser les habitants – l’objectif affiché étant toutefois qu’ils puissent trouver eux-mêmes des solutions à « leurs » problèmes. De ce point de vue, la mobilisation constitue une forme de synthèse des deux autres modèles qui vise à former les habitants-usagers comme des relais efficaces d’orientations politiques générales et qui sont aussi, capables d’initiatives – toutefois, dans un périmètre d’action prédéfini par les décideurs.
Ce modèle de la mobilisation renouvelle aussi le concept de participation en incluant la dimension individuelle à travers l’injonction au « travail sur soi » (selon la formule de Didier Vrancken), soit, le travail que chacun est appelé à faire sur sa propre employabilité… Cette conception est bien sûr éloignée de l’action collective et aussi, de l’action publique. Elle rejoint pourtant, le fil conducteur du concept de participation puisqu’il s’agit, selon un slogan répandu, que l’individu reprenne du pouvoir sur lui-même, ou (re)devienne acteur de sa propre vie.
La première limite qui est souvent opposée au modèle de la mobilisation est précisément, son échelle réduite et son ampleur limitée (en groupe restreint, sur des enjeux de proximité voire, à l’échelle individuelle, sur soi-même). Par ailleurs la mobilisation porte aussi le soupçon de manipulation puisque concrètement, ce sont d’autres acteurs (pouvoirs publics voire, acteurs associatifs) qui définissent les objectifs, la manière de les atteindre, et mobilisent des individus ou des groupes pour y parvenir. Enfin, la mobilisation à l’échelle individuelle comporte des risques de psychologisation et de dépolitisation de l’intervention sociale, puisque la dimension globale du problème est niée, ou minorée, pour mieux valoriser l’impact positif qu’aurait la mobilisation dans la proximité et à l’échelle de l’individu.
À chacun des trois modèles de la participation correspond donc aussi, un cadre normatif qui lui est associé et qui est plus ou moins prégnant à certaines périodes historiques. Ainsi, dans les années 1970 : la participation est plutôt pensée comme action collective ; alors qu’elle renait dans les années 1980-90 comme action publique et depuis les années 2000, comme mobilisation – pourtant cette affirmation est aussi à nuancer, tant chaque époque et chaque pays croisent les modèles. Le tableau ci-dessous résume la grille de lecture que nous proposons des différentes modalités de la participation et les logiques plurielles qui traversent ce concept.
Maryse Bresson, « La participation : un concept constamment réinventé. », Socio-logos. Revue de l’association française de sociologie 9 | 2014