Par Samah Jabr
Chers professionnels de la santé à Gaza,
Nous observons ce que produit la machine de guerre sur le territoire assiégé, et nous essayons d’imaginer le terrible impact psychologique causé par l’immense destruction et les pertes infiniment douloureuses d’être chers.
Il est naturel – et même voulu par l’agresseur – que cette horreur que nous observons provoque en nous un sentiment d’impuissance et d’inutilité dans l’emploi des instruments qui sont ceux de notre profession.
Comment échapper aux bombardements avec des exercices de relaxation ? Comment faire de la place aux premiers secours psychologiques ? Tout d’abord, en l’absence d’un endroit sûr, d’eau et de nourriture ? Et comment utiliser les moyens numériques de soutien psychosocial lorsqu’il n’y a pas de connexion internet ?
Mais nous savons que la sauvagerie de l’agression à été conçue, préparée, pour générer les sentiments d’impuissance et de culpabilité dans nos coeurs, et pour briser la volonté de la société palestinienne.
Nous savons aussi que le rôle des professionnels de la santé mentale peut être une pierre angulaire dans la construction d’un espoir et d’une guérison de la société, dans ses différentes couches.
Cet espoir est aussi l’encre avec laquelle est écrit la volonté de lutte de tous les gens solidaires du monde entier.
Votre fermeté en particulier est le pilier de notre constance – à nous, professionnels de la santé mentale – tant dans le pays que dans n’importe quel endroit dans le monde qui aspire à la liberté.
Votre sumud (résilience personnelle et collective) est particulière. C’est le pilier de notre résilience, à nous professionnels de la santé mentale compatriotes et d’ailleurs, qui aspirent à la liberté, comme vous.
Vous êtes la boussole de ceux qui sont perdus, et un phare dans la nuit du despotisme.
J’écoute les réactions des blessés et des personnes endeuillées à Gaza et je suis étonnée par les sentiments nationaux et religieux qu’ils invoquent pour maintenir leur cohésion et leur résilience dans l’adversité.
Chers Collègues : mettez en oeuvre votre soutien psychologique sur ces concepts chaque fois qu’ils sont évoqués et repris. Et utilisez les stratégies de psychothérapie de groupe et de libération pour améliorer la résilience et reconstruire l’identité, pour contribuer au rétablissement psychologique de la communauté.
Malgré l’ampleur des destructions, nous gardons la capacité de créer une estime mutuelle, un intérêt et une écoute pleins d’empathie.
Mes chers Gazaouis, des collègues me contactent quotidiennement de Al-Qods [Jérusalem], de la Cisjordanie, de l’intérieur du pays occupé [Palestine de 48] et de l’extérieur de la Palestine – qu’ils soient arabes ou non – pour me poser la question de comment aider les habitants de Gaza, motivés tels qu’ils le sont dans leur solidarité avec vous dans votre terrible drame, mais aussi avec l’espoir de votre victoire.
Ce qui nous empêche d’être à vos côtés n’est que la machine de guerre qui se met entre nous. Nous attendons avec impatience l’arrêt de l’agression pour reprendre le travail avec les instituts et différents organismes de la société gazaouie et avec les organisations humanitaires, et pour apporter l’appui et les moyens nécessaires pour fortifier la santé mentale.
J’aimerais enfin vous rappeler, mes chers, que vous n’êtes pas seuls… Tous les yeux voient votre visage, toutes les oreilles écoutent vos paroles, tous les coeurs battent maintenant au rythme du pouls de Gaza. Vous êtes les témoins et les martyrs de cette étape cruciale de l’Histoire palestinienne et humaine.
Conservez les récits des vies des gens, leurs rêves, et protégez-les autant que vous le pouvez. Conservez l’histoire personnelle de toutes ces personnes, leur humanité et leur grand courage face à la profanation, et conservez l’Histoire et le droit des Palestiniens face à la tyrannie.
Mémorisez les récits des gens et leurs rêves, archivez-les autant qu’il vous est possible. La mémoire des récits et histoires individuelles est ce qui préserve l’humanité de chacun et sa dignité face à la disgrâce.
Nous nous retrouverons bientôt et nous travaillerons ensemble pour construire des services de santé meilleurs et pour aider les gens à se relever.
Nous sommes certains que notre travail en tant que professionnels de la santé mentale est un élément fondamental dans le projet de libération nationale dans ses deux facettes : libérer la terre et libérer l’être humain.
Avec toute ma considération, et dans l’espoir d’une libération proche.
Dr Samah Jabr, psychiatre, psychothérapeute, directrice de l’Unité palestinienne de Santé Mentale