Par Mohamed Tahar Bensaada
Malheureusement, la perspective funeste de voir arriver au pouvoir l’extrême-droite islamophobe au lendemain des élections législatives, dont le premier tour est prévu le 30 juin prochain, n’est plus une simple vue de l’esprit.
De nombreux politiciens sont montés au créneau pour dénoncer la décision du président Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale, la jugeant irresponsable et aventuriste. Mais la décision a été prise sans possibilité de marche-arrière. Au demeurant, une République réduite à se défendre uniquement à coup de calculs politiciens ou de procédures à caractère administratif pourra difficilement assurer son avenir.
L’élan républicain, qui a suivi l’électrochoc de la victoire de l’extrême-droite aux élections européennes et qui a vu les gauches s’unir au sein du Nouveau Front Populaire, est de bon augure.
Si les estimations des sondages qui accréditent ce Front de près de 30% des suffrages se confirment, il sera difficile à l’extrême-droite, même si elle est soutenue par les partisans de Ciotti, de prétendre à la majorité qui lui permettra de briguer le gouvernement.
Certes, le prix à payer pour un tel barrage à l’extrême-droite sera très élevé sur tous les plans (politique, économique et social ), dans la mesure où on voit mal comment le Nouveau Front Populaire pourra gouverner sans le soutien du camp présidentiel et de la droite républicaine. Mais cela en vaut la peine.
Une victoire de l’extrême-droite constituerait une catastrophe pour l’ensemble des forces populaires, et plus particulièrement pour les musulmans de France, dont l’écrasante majorité appartient aux catégories sociales les plus touchées par les réformes libérales de ces dernières années.
Il ne faut pas s’y tromper. Le discours nationaliste et populiste de l’extrême-droite française ne doit faire oublier ni son nationalisme à géométrie variable, ni son adhésion pour l’essentiel au programme économique libéral défendu aussi bien par le camp présidentiel que par la droite dite républicaine.
Le nationalisme de l’extrême-droite a ceci de particulier qu’il est dirigé exclusivement contre les « étrangers » ( essentiellement les musulmans maghrébins ou d’origine maghrébine et en particulier les Algériens). Il n’est pas dirigé contre le capitalisme américain et la Commission européenne qui constituent les véritables maîtres d’œuvre de la déstructuration de l’économie et de la société françaises.
Le populisme de l’extrême-droite française ne dépasse guère le seuil de la rhétorique à visée électoraliste, dans la mesure où elle reste pour l’essentiel prisonnière de la doctrine économique libérale dont elle cherche à tempérer les conséquences sociales en écartant les « étrangers » du filet social. Un simple coup d’œil sur les statistiques générales prouve que même en expulsant une partie des « étrangers au chômage », la société française n’en finira pas avec les méfaits de la globalisation économique.
Les géants du CAC 40 ont généré plus de 145 milliards d’euros de profits en 2023, alors que les allocations dont bénéficient l’ensemble des chômeurs en France (et pas seulement les « étrangers ») ne dépassent guère les 45 milliards d’euros.
Nul doute que le slogan de la « préférence nationale » brandi par l’extrême-droite fera beaucoup de mal à de larges couches de la population issue de l’immigration, même si l’histoire a montré que quand on bafoue les droits d’un segment de la société – transformé à l’occasion en un bouc-émissaire – il faut s’attendre à ce que les droits de tous risquent tôt ou tard d’être la cible des apprentis sorciers qui croient régler des problèmes sérieux avec des recettes primaires qu’ils vont chercher dans les égouts d’une histoire qu’on a cru à jamais révolue.
Les jeunes musulmans de France, dont une partie non négligeable a choisi jusqu’ici l’abstention en croyant à tort que tous les politiciens se ressemblent, sont appelés à un sursaut d’intelligence salutaire.
Certes, le Nouveau Front Populaire est une sorte d’auberge espagnole, dans laquelle on trouve côte à côte des hommes et des femmes politiques respectables soucieux de défendre des valeurs républicaines, démocratiques et sociales, à la hauteur des défis posés, mais aussi des représentants de courants qui continuent d’adorer les valeurs fétiches d’une social-démocratie acquise depuis longtemps à l’économie de marché, à l’Europe technocratique et à l’atlantisme.
Les prises de positions scélérates du PS et du PCF par rapport à ce qui se passe à Gaza auront fini de montrer que le républicanisme mâtiné de laïcisme, derrière lequel se cachent ces partis, n’est tout au plus qu’une version soft du « choc des civilisations » cher aux néo-conservateurs américains.
Mais les jeunes musulmans de France doivent retrouver, en ces heures sombres, la patience et la lucidité que leur enseigne leur religion dans pareilles circonstances.
Comme dans un match de boxe, il faut d’abord esquiver les coups de l’adversaire. Barrer la route à l’extrême-droite, c’est éviter d’encaisser des coups supplémentaires qui risquent de vous mettre KO.
Voter pour les listes du Nouveau Front Populaire ne signifie pas être dupes des véritables intentions et orientations idéologiques et politiques de la gauche caviar. Voter pour les listes du Nouveau Front Populaire, c’est avant tout voter pour la sauvegarde des acquis républicains et démocratiques, sans lesquels il sera difficile de lutter demain pour l’extension de ces acquis à toutes et à tous, non seulement en France, mais partout dans le monde où l’injustice continue de faire souffrir des êtres humains, comme en Palestine occupée et en Afrique.