Par Rachid Bathoum, Carlo Caldarini, Barbara Mourin (Espace Sémaphore asbl, Centre de psychologie et de sociologie interculturelles)
« Le racisme est considéré comme une situation qui correspond aux personnes qui sont sans moyens en fait. C’est très rare qu’un riche subisse du racisme, c’est très rare. Et quand ça arrive, on lui présente des excuses » (Témoignage de Bian, 16 février 2022)
« Oui moi je dis que le racisme et l’immigration ont tué le corps de mes parents, ont détruit mon père, c’est aussi le corps, les corps, oh oui bien sûr… » (Témoignage de Solange, 27 avril 2022)
En 2022, l’association Espace Sémaphore a réalisé une enquête qualitative en Wallonie sur un aspect généralement peu étudié : les effets néfastes des discriminations ethno-raciales sur la santé des personnes qui les subissent.
La méthode adoptée pourrait être résumée en trois mots : écouter les ‘‘victimes’’. Trop souvent, en fait, ceux qui s’expriment ne sont pas ceux qui subissent la discrimination, alors qu’au contraire, leur parole est cruciale si nous voulons comprendre comment les migrants et leurs descendants vivent les effets cumulés des discriminations invisibilisées et quelles en sont les conséquences. Pour ce faire, les récits de 13 personnes racisées originaires d’Algérie, du Bénin, du Congo, du Maroc, du Rwanda, du Togo et de Turquie ont été recueillis. Un retour important a également été fourni par un autre groupe de 15 personnes, principalement des primo-arrivants.
Cette enquête ne montre aucune histoire frappante d’annonces de location « Pas de Noirs », pas d’appels à « jeter les migrants à la mer », pas de demandeurs d’asile battus parce que les résidents locaux étaient contre un centre d’accueil, pas de croix gammées pulvérisées sur le pas de la porte de qui que ce soit, pas de bain de sang. Aucun fait, en bref, digne de faire la une dans la presse nationale, et encore moins de comparaître devant les tribunaux. Ce qui émerge, en revanche, c’est un sentiment généralisé, quotidien, et résigné face à de petits actes d’intolérance, de mépris, de dédain : « Les gens qui vivent des choses extrêmes, comme ça, comme la violence policière, sont rares, raconte l’un de nos témoins, ce que nous vivons, ce qui nous détruit, on en voit que les effets, mais c’est des petites choses, subtiles… ».
Reprenant les paroles d’un autre témoin, « on ne peut pas se dire que quand tu es à l’école ça va, ce n’est que quand tu es dans la rue, ou que quand je suis dans la rue ça va, ce n’est que quand je suis dans le bus…, c’est partout et tout le temps… ». Des micro-agressions ordinaires se produisent plus ou moins quotidiennement, ici et là et un peu partout : dans la rue, au supermarché, dans les lieux publics, et ainsi de suite. Et ce qui rend ces micro-agressions encore plus funestes, c’est qu’elles se produisent même, ou peut-être surtout, dans des milieux qui se consacrent plus que d’autres à la « socialisation », c’est-à-dire à l’école, au travail, en formation…
Il peut s’agir, le plus souvent, d’insinuations qui semblent anodines, comme l’enseignant qui change d’attitude envers l’un de ses étudiants lorsqu’il apprend que le nom du garçon a une consonance « arabe », ou le formateur qui fait continuellement des insinuations apparemment innocentes sur les origines de certains élèves. Ou dans d’autres cas bien plus concrets et matériels, la relégation d’un travailleur à des tâches moins visibles en raison de la couleur de sa peau. Ou, plus souvent encore, les deux combinés, la blague faussement bonne et l’acte de ségrégation qui en découle.
Les paroles des témoins révèlent, chacun à sa manière et avec des histoires différentes, que le racisme vécu au quotidien conduit à une mauvaise santé générale, au risque de préjudices physiques et somatiques, au suicide, à la dépression, à l’anxiété, à la colère, aux inquiétudes et aux maladies mentales. Elles montrent comment les discriminations ethno-raciales affectent les environnements familiaux et comment leurs impacts se transmettent de génération en génération.
Mais ce qui est le plus frappant dans ces témoignages, ce sont les postures et les stratégies plus ou moins conscientes que les personnes qui subissent systématiquement la discrimination raciale en viennent à construire pour se protéger et protéger leur famille. On comprend à cet égard à quel point il peut être difficile de mettre des mots sur les effets néfastes de la discrimination ethno-raciale sur la santé psychologique, médicale et sociale. Et comment ce silence forcé, cette incapacité à mettre des mots sur la souffrance, affecte clairement de manière négative les niveaux de bonheur, de satisfaction de vie et d’estime de soi.
Que peuvent faire les autorités locales, et la Wallonie en particulier ?
L’implication systématique et le plus en amont possible des immigrés et leurs descendants dans l’élaboration des projets qui concernent la santé est primordiale. On n’évoque pas uniquement le devoir « d’information » et de « consultation » de ces populations, mais à la nécessité de concertation et de participation aux différents projets de santé publique. Il s’agit également de soutenir davantage l’action des institutions, grandes ou petites, qui font un travail éducatif important.
Il est également important d’un point de vue de la recherche de déplacer le regard scientifique vers les positions dominantes et compléter l’analyse des inégalités ethno-raciales par la formulation du concept de la ‘‘blanchité’’. Une amorce qui serait intéressante d’approfondir pour rendre visible une réalité inconnue en faisant émerger le spécifique et mieux comprendre les processus et les mécanismes de construction structurelle des dégâts des discriminations raciales.
Le rapport de recherche, qui a été remis à la Région en janvier 2023, propose différentes mesures et actions, selon le public, le domaine et le contexte. Comme nous ne pouvons pas les résumer dans cet espace, les lecteurs sont invités à les découvrir en cliquant sur le lien suivant https://bit.ly/3XAG8Fp
Rachid Bathoum et Carlo Caldarini, Les dégâts des discriminations ethno raciales sur la santé. Enquête qualitative, Rapport pour la Région Wallonne, Espace Sémaphore asbl, décembre 2022, pp. 105 (https://bit.ly/3XAG8Fp)