Le travail social communautaire aujourd’hui, réflexion à partir des projets de travail communautaire au sein d’EvereCity
Par Grégory Meurant
Dans le cadre des rencontres de l’Association du Logement Social (ALS), la Société Immobilière de Service Public (SISP) EvereCity a organisé le lundi 17 octobre une Journée consacrée au travail social communautaire à partir des expériences initiées par des porteurs de projets avec le soutien des travailleurs sociaux. Après la fusion des deux sociétés de logements sociaux Germinal et Leder Zijn Huis, la SISP a saisi l’enjeu de la construction de 164 nouveaux logements, accompagné d’une politique de rénovation et reconstruction ambitieuse. L’arrivée d’une nouvelle population a posé d’emblée des enjeux en termes de cohésion sociale du quartier, d’après la Directrice Générale, Pascale Roelants, et la Directrice du pôle locatif, Daisy Auquier.
Confrontée à de fortes perturbations (incendies, violence, vandalisme), la EvereCity a fait le choix courageux de repenser son service social sous forme de « cellule de développement social » incluant le travail communautaire, en partenariat avec le PCS « Là-Haut ». Les travailleuses sociales ont ainsi accompagné des projets de réappropriation de l’espace public de vie par les habitants, en les accompagnant dans des projets collectifs : décoration de la cité par le Graffiti – en mobilisant un artiste reconnu ayant grandi dans les logements de la SISP ; construction d’un potager autogéré par les habitants ; projet de photographie. Aujourd’hui, après deux ans de réorientation du travail social, les perturbations ont fortement diminué. Il faut saluer le choix courageux du travail communautaire en réponse à des problématiques de cohésion sociale, dans une société où tout semble tendre à diviser et à alimenter des conflits à l’intérieur des groupes sociaux défavorisés qui subissent une double stigmatisation sociale et spatiale.
Quelles plus-values sociales et sociétales du travail collectif et communautaire ?
C’est la question ambitieuse que la Directrice Générale Pascale Roelants a posé à un premier orateur invité, Mohammed Tahar Bensaada, philosophe et politiste, qui a enseigné notamment la méthodologie du travail social communautaire dans une Haute Ecole à Bruxelles. L’orateur a commencé par rappeler brièvement les principes fondateurs du travail social communautaire en partant notamment d’une approche qui se veut complémentariste. Vue sous cet angle, l’action sociale communautaire complète et ne s’oppose pas au travail social individuel, ni à l’action des mouvements sociaux ni à l’action des pouvoirs publics. L’action sociale communautaire tire sa raison d’être avant tout de la nécessité de trouver des réponses collectives à des besoins sociaux collectifs. Le lien social est au travail social communautaire ce qu’est la personne au travail social individuel. Le travail social collectif et communautaire s’impose là où des individus isolés ne peuvent résoudre individuellement un problème d’ordre collectif (comme c’est typiquement le cas des problèmes liés à l’appropriation de l’espace public).
Comme le travail social individuel, le travail communautaire repose sur des outils méthodologiques spécifiques : il repose sur l’expertise, mais une expertise qui ne soit pas exclusivement technocratique. Cette expertise repose aussi sur l’expérience vécue des besoins par les populations elles-mêmes, et l’expérience des travailleurs de terrain. Ces outils méthodologiques sont nécessaires pour passer de la mobilisation à l’organisation. Enfin, le travail communautaire est la concrétisation de l’exigence démocratique de la participation citoyenne – qui se distingue mais inclut l’implication des personnes dans des activités entièrement préconçues sans elles. Pour la bonne réalisation de cette exigence, le travail communautaire propose un processus qui nécessite la reconstruction de l’estime de soi de populations historiquement dominées. Or, pour se penser elles-mêmes comme actrices de transformation sociale, ces populations doivent reprendre confiance en soi et mobiliser les ressources restées jusqu’ici en jachère dans le processus de changement social.
Depuis un demi-siècle de formalisation de ses méthodes, le travail social communautaire s’est constitué sur la base d’une pluralité des modèles – du modèle du renforcement du pouvoir populaire par la conscientisation inspiré de la pédagogie des opprimés de Paulo Freire au modèle de l’action sociale directe inspirée par Saul Alinsky, en passant par le modèle du développement local américain. Quel que soit le modèle choisi, les travailleurs sociaux ont un rôle spécifique dans ce type d’approche collective et communautaire : celui d’une mobilisation de ressources spécifiques appropriées aux besoins identifiés (par le biais d’une analyse préliminaire et d’un diagnostic), dont on verra les effets entre 2 et 5 ans après l’initiation du programme. L’approche communautaire est fondée sur l’interdépendance des expertises: les travailleurs sociaux ont besoin d’acteurs motivés issus des groupes sociaux avec qui ils travaillent, et ces acteurs ont besoin des travailleurs sociaux pour les aider à accompagner le processus de mobilisation et d’auto-organisation avec des outils méthodologiques appropriés dans la perspective d’une autonomisation complète de l’acteur collectif.
Le travail communautaire dans le contexte sociétal actuel
Les enjeux du travail communautaire dans la société contemporaine sont marqués par deux grandes mutations qui fragilisent le lien social. D’abord, une transformation démographique lié à l’augmentation générale de l’espérance de vie. D’une part, les seniors ressentent aujourd’hui plus que les autres groupes sociaux la crise du lien social, phénomène exprimé par l’isolement et la solitude. D’autre part, les « jeunes » issus des populations précarisées sont plus rapidement confrontés au décrochage scolaire et à une réduction de l’accès au marché de l’emploi par le manque d’acquisition de compétences qualifiantes. Ensuite, les mutations sociétales affectent elles-mêmes la profession de travailleur social. Cette profession, autrefois métier à vocation, est devenu un simple métier comme un autre, parfois alimentaire, dans un contexte où ce groupe professionnel est aussi soumis à la précarisation et à la dévalorisation du métier.
Le travail social communautaire est une forme d’action dans la cité qui participe de la réparation du lien social. Si le travail social communautaire ne peut se faire sans travail social collectif, ce qui le distingue de ce dernier est la création d’un nouveau mécanisme de lien social dans l’action. L’action collective est avant tout une action engagée par un groupe, qui cherche à satisfaire une revendication auprès d’une instance extérieure à lui-même – (un employeur ou un pouvoir public). En même temps qu’elle cherche à satisfaire des besoins concrets, l’action communautaire cherche à implémenter dans la pratique de nouveaux mécanismes de socialisation fondés sur des valeurs alternatives aux modèles existants.
Pourquoi et comment évaluer le travail social collectif et communautaire ?
C’est la question adressée par la Directrice du pôle social et locatif Daisy Auquier à Laurent Atsou, Coordinateur au sein de l’Institut de coopération syndicale internationale de la FGTB, l’IFSI. Daisy Auquier signalait que les chiffres collectés dans le cadre du travail social individuel ne permettait pas de mesurer son impact. Les demandes d’évaluation assignées aux assistants sociaux n’entrent pas toujours dans leurs fonctions ni dans leur formation – « c’est comme demander à Emile Zola de peindre une Saga », nous disait-elle. L’enjeu est de fournir aux travailleurs sociaux des outils d’évaluation qu’ils savent manier et qui leur sont directement utiles pour évaluer l’impact de leur travail.
A partir d’expériences réalisées dans le Sud, l’intervention de Laurent Atsou invitait à sortir d’une logique purement chiffrée et à se questionner sur les finalités de changement social des projets de travail collectif et communautaire, dans ses dimensions qualitatives et quantitatives. Il a notamment souligné la tension structurelle et permanente d’adaptation des règles et méthodes d’évaluation qui servent à mesurer ce changement social, là où les pouvoirs subsidiants ont tendance à imposer parfois des normes contraignantes à partir de leurs propres intérêts. Plutôt que de s’y soumettre, il importe de se réapproprier les outils méthodologiques à finalité sociale
Plusieurs critères doivent attirer l’attention des porteurs de projets communautaires : le contexte d’intervention (qui peut faire l’objet d’une grille AFOM), les formes de participation (par exemple l’arbre à palabres qui égalise les relations entre acteurs du projet), une attitude d’humilité face à la complexité du réel, en considérant la diversité des petits résultats visés (en favorisant une approche en termes de relations causales complexes à une logique purement linéaire du style problème → projet → résultat).
Laurent Atsou nous invite à une approche positive en évaluant le changement réalisé et les processus qui l’ont permis, à partir des besoins et des aspirations des acteurs porteurs de projets, sans hésiter à mettre parfois l’accent sur le rêve à atteindre plutôt que sur le problème à résoudre.