Un avis tranché à la chambre

Sollicité par la Commission des Affaires sociales de la Chambre des représentants, le Groupe d’étude pour la réforme de l’action sociale (GERAS) a rendu en mai 2025 un avis critique sur la proposition de loi visant à permettre aux CPAS de consulter directement les données du Point de contact central (PCC), tenu par la Banque nationale de Belgique.

Cette proposition de loi, présentée par les députés Wouter Raskin, Frieda Gijbels et Axel Ronse, tous membres de la N-VA, et déjà annoncée dans ses grandes lignes dans l’Accord de coalition 2025-2029 du gouvernement fédéral actuel, vise à modifier, d’une part, l’article 60 de la loi organique du 8 juillet 1976 et, d’autre part, l’article 19 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale afin que dans le cadre de l’enquête sociale, le CPAS puisse « demander des informations au Point de contact central tenu par la Banque Nationale de Belgique conformément à la loi du 8 juillet 2018 ».

Le Point de contact central (PCC) est une base de données gérée par la Banque nationale de Belgique (BNB). Il a pour objectif de centraliser les informations relatives aux comptes et contrats financiers détenus en Belgique et, pour les personnes physiques, aux comptes étrangers détenus par des résidents belges.

La consultation de cette base de données ne peut avoir lieu que dans le cadre d’une procédure stricte et pour des fins légitimes, notamment dans le cadre d’enquêtes fiscales, de la lutte contre le blanchiment d’argent, du financement du terrorisme et de la grande criminalité. Elle peut être consultée par exemple par certains fonctionnaires du SPF Finances, par certains magistrats du SPF Justice, par la Sûreté de l’État, par des notaires dans le cadre des successions et par la Chambre nationale des huissiers de justice sur demande du juge des saisies. 

Pour le reste, les personnes physiques et morales ne peuvent consulter que les données enregistrées à leur nom. Cela se produit déjà régulièrement, par exemple lorsqu’un CPAS, dans le cadre d’une enquête sociale, demande à la personne concernée de fournir plus d’informations sur sa situation financière.

Le projet de loi porté par la NV-A tend à permettre l’accès à cette base de données sensible à tous les CPAS, et systématiquement pour tous les demandeurs, qu’il y ait ou non suspicion de fraude. Cela est présenté comme un outil destiné à renforcer la lutte contre la fraude sociale. Mais pour le GERAS, cela constitue surtout une menace pour les fondements mêmes de l’action sociale en Belgique.

Le contrôle, nouveau cap des politiques sociales

L’accès au PCC permettrait aux CPAS d’obtenir des informations sur les comptes bancaires et biens immobiliers — y compris à l’étranger — des personnes qui sollicitent une aide. Une évolution que le GERAS situe dans une dynamique politique plus large, marquée par la suspicion et un durcissement de la conditionnalité.

Cette proposition de loi s’ajoute en effet à une série de mesures qui modifient en profondeur le rôle des CPAS : limitation de la durée des allocations de chômage, extension du PIIS, mise en place de systèmes bonus-malus pour le financement des CPAS, possibilité de mise sous tutelle fédérale des CPAS, atteintes au secret professionnel… Dans ce contexte, les CPAS risquent de devenir, des organes de contrôle social généralisé, bien plus que des institutions de lutte contre la pauvreté.

Les effets pervers d’une réforme intrusive

Au-delà de l’objectif affiché de lutte contre la fraude, selon le GERAS cette réforme soulève plusieurs préoccupations fondamentales :

  • Atteintes à la vie privée et à la proportionnalité : L’accès étendu à des données sensibles interroge la conformité au RGPD, la proportionnalité des moyens utilisés, et les garanties de recours pour les usagers (rectification, opposition, etc.).
  • Stigmatisation et rupture du lien de confiance : Une telle mesure introduit un soupçon généralisé à l’égard des bénéficiaires, compromettant la relation d’aide. Le travailleur social devient un opérateur de contrôle, au détriment de sa mission d’écoute et de soutien.
  • Augmentation du non-recours : En créant un climat de défiance, ce type de contrôle risque de renforcer le non-recours aux droits, notamment chez les personnes les plus vulnérables ou réticentes à l’égard des institutions.
  • Augmentation de la charge administrative : Cette mesure va à l’encontre des objectifs de simplification administrative annoncés dans l’Accord de coalition et ajoute une complexité qui éloigne les travailleurs sociaux de leurs missions d’accompagnement.

Une base juridique fragile et une logique discriminatoire

Notre analyse juridique de la proposition est tout aussi sévère. Le GERAS rappelle que l’accès au PCC est aujourd’hui strictement encadré (fraude fiscale, blanchiment, infractions pénales graves) et suppose des garanties très précises. Or, la proposition de loi contourne ces protections, en inscrivant l’accès au PCC dans la loi organique des CPAS, sans passer par la loi spécifique de 2018 qui encadre cet accès.

Résultat : les garanties prévues pour d’autres catégories de citoyens ne s’appliqueraient pas aux bénéficiaires d’aide sociale. Le GERAS y voit une violation manifeste du principe d’égalité et de non-discrimination : la fraude est présumée dans le chef de tout demandeur.

Une réforme sans base factuelle solide

Enfin, le GERAS souligne l’absence flagrante de données pour justifier cette réforme. Les auteurs du texte s’appuient uniquement sur une étude de PWC datant de 2013 (données 2011-2012), qui conclut… que la fraude sociale est faible. En moyenne, seuls 4 à 5 % des dossiers seraient concernés, pour un montant moyen de 1.600 €.

Aucune donnée actuelle, aucun rapport public n’est présenté pour démontrer que l’accès au PCC est nécessaire ou proportionné. Pourtant, il s’agit bien d’une réforme majeure, qui affecterait tous les bénéficiaires potentiels de l’aide sociale.

Le GERAS défend une alternative fondée sur la confiance et les droits

L’avis du GERAS se distingue de celui rendu par les trois fédérations régionales des CPAS, qui considèrent cette réforme comme une évolution technique susceptible d’améliorer l’analyse des demandes d’aide.

Reconnaissant pleinement l’importance d’outils fiables pour instruire les dossiers, le GERAS plaide pour une approche fondée sur la confiance mutuelle, le respect des droits fondamentaux et une éthique de la relation d’aide.

Cette différence d’approche reflète deux conceptions du rôle des CPAS :

  • l’une met l’accent sur l’efficacité des mécanismes de contrôle et d’activation ;
  • l’autre insiste sur leur mission de garant des droits sociaux et d’accompagnateur des parcours de vie.

Dans cette optique, le GERAS appelle à :

  • renoncer à la proposition en l’état ;
  • réaliser une analyse d’impact complète (juridique, sociale, éthique) ;
  • réaffirmer les outils existants, notamment le devoir de collaboration, qui permet déjà aux CPAS de ne pas octroyer une aide en raison de non coopération;
  • construire toute réforme future en concertation avec les acteurs de terrain, dans le respect du droit à la vie privée et du principe de proportionnalité.

Le message du GERAS est clair : sans données probantes, sans garanties juridiques et sans réflexion éthique, cette réforme ne peut que porter atteinte à la démocratie

ð Texte complet de l’avis rendu par le GERAS

Pour le GERAS :

Carlo CALDARINI

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