Par Carolyn Merchant

La domination de la terre par la technologie et l’avènement corrélatif de l’image du monde comme Machina ex Deo furent les grandes caractéristiques de la révolution scientifique des XVIe et XVIIe siècles. Au cours de cette période, ces deux concepts de mécanisme et de domination de la nature sont devenus les concepts clés et les représentations prédominantes de notre monde moderne. La conception organique qui a prévalu depuis les temps anciens jusqu’à la Renaissance, dans laquelle le principe féminin jouait un rôle positif significatif, fut graduellement sapée et remplacée par un état d’esprit technologique qui se servait des différents principes féminins en les exploitant 1. Parallèlement à la mécanisation croissante de la culture occidentale au XVIIe siècle, la terre nourricière et cosmique a été remplacée par la machine.

Le changement de conception dominante fut directement lié au changement d’état d’esprit et de comportement envers la terre. Alors que l’ancienne image de la terre nourricière pouvait être envisagée comme une contrainte culturelle restreignant le type d’actions humaines socialement et moralement autorisées à celles respectant la terre, les nouvelles images de maîtrise et de domination ont opéré comme des autorisations culturelles de dépouillement de la nature. La société avait besoin de ces nouvelles représentations pour prolonger le processus de commercialisation et d’industrialisation, dépendant d’activités altérant directement la terre – exploitation minière, drainage, déforestation et essartage (arrachage des souches pour dégager les champs). Ces nouvelles activités exigeaient de nouvelles technologies – pompes à pression et à pistons, grues, moulins à vent, roues motrices, valves à clapets, chaînes, pistons, tapis roulants, moulins à eau alimentés par le haut ou par le bas, moulins à grains, volants d’inertie, soufflets, pelleteuses, chaînes d’élévateurs, cylindres, passerelles et passerelles à roues, manivelles, îlots élaborés et systèmes d’élévation, roues à vis, aiguillons, voûte et lanternes, cames et cames excentriques, cliquets, clefs, pressoirs, et vis dans une extraordinaire variété et un grand nombre de combinaisons.

Ces changements technologiques et économiques ne se sont pas mis en place rapidement; ils se sont développés progressivement au cours des époques médiévales et antérieures, tout comme la dégradation environnementale qui les a accompagnés. Lentement, au fil des siècles, les premières civilisations méditerranéenne et grecque ont exploité et extrait le minerai des versants des montagnes, modifié le paysage forestier et surpâturé les collines. Néanmoins, les technologies étaient peu développées, les gens se considéraient comme partie intégrante du cosmos fini, et l’animisme et les cultes de la fertilité considérant la nature comme sacrée étaient répandus. La civilisation romaine fut plus opportuniste, laïque et commerçante, et son impact environnemental plus profond. Des auteurs romains comme Ovide, Sénèque, Pline ainsi que les stoïciens déploraient ouvertement l’exploitation comme un viol de leur mère, la terre. Avec la désintégration du féodalisme et l’expansion des Européens dans de nouveaux mondes et de nouveaux marchés, la société commerçante commença à avoir un impact accéléré sur l’environnement naturel. A partir des XVIe et XVIIe siècles, la tension entre le développement technologique dans le monde matériel et les représentations organiques dans le monde spirituel était devenue trop forte. Les vieilles structures étaient incompatibles avec les nouvelles activités.

Les métaphores nourricière et dominatrice avaient existé toutes deux dans la philosophie, la religion et la littérature – l’idée de domination de la terre dans la philosophie grecque et la religion chrétienne ; celle de la terre nourricière dans la philosophie grecque et les religions païennes. Mais, alors que l’économie se modernisait et que la révolution scientifique en découlait, la métaphore de la domination s’est répandue au-delà de la sphère religieuse et a pris également l’ascendant dans les sphères sociale et politique. Ces deux conceptions concurrentes ainsi que les images normatives associées se retrouvent dans la littérature, l’art, la philosophie et la science du XVIe siècle.

L’image de la terre comme organisme vivant et mère nourricière a tenu lieu de contrainte culturelle limitant l’action des êtres vivants. On ne poignarde pas aisément sa mère, ni ne fouille ses entrailles pour y chercher de l’or, ni ne mutile son corps, quand bien même le commerce de l’exploitation minière le requerrait bientôt. Aussi longtemps que la terre était considérée comme vivante et sensible, on pouvait regarder les actes de destruction à son encontre comme une violation de l’éthique comportementale humaine. Pour la plupart des cultures traditionnelles, les minéraux et les métaux mûrissaient dans l’utérus de la Terre-Mère, les mines étaient comparées à son vagin et la métallurgie était la précipitation humaine de la naissance des métaux vivants dans le ventre artificiel de la fournaise – un avortement avant terme du cycle de croissance naturel des métaux. Les mineurs cherchaient la rédemption auprès des divinités du sol et du monde souterrain, en exécutant des cérémonies sacrificielles en observant une propreté stricte, une abstinence sexuelle, et ils pratiquaient le jeûne avant de violer le caractère sacré de la terre vivante en descendant dans la mine. Les forgerons endossaient une très grande responsabilité en précipitant la naissance du métal par fonte, fusion, et en le battant avec un marteau et une enclume ; on leur accordait souvent le statut de chaman dans les rituels tribaux et leurs outils étaient investis de pouvoirs particuliers 2.

A la Renaissance, l’image de la terre nourricière charriait toujours de subtiles formes de contrôles et de contraintes. Une telle imagerie trouvée dans la culture littéraire est susceptible de jouer un rôle normatif au sein de cette culture. Les images prédominantes opèrent comme des contraintes ou des approbations éthiques – de subtils « devraient » ou « ne devraient pas ». Ainsi, lorsque les métaphores descriptives et les images de la nature changent, une contrainte comportementale peut muer en autorisation. Un tel changement dans l’image et la description de la nature a eu lieu au cours de la révolution scientifique.

Il est important de reconnaître la portée normative des affirmations descriptives concernant la nature. Les philosophes contemporains du langage ont réexaminé de manière critique l’ancienne distinction positiviste entre le « est » de la science et le « doit » de la société, arguant que les descriptions et les normes ne s’opposent pas l’une à l’autre à travers la séparation linguistique des affirmations « est » et « doit », mais sont plutôt contenues l’une dans l’autre. Les affirmations descriptives sur le monde peuvent présupposer la dimension normative, elles sont donc chargées d’éthique. La fonction normative d’une affirmation réside dans l’usage même de la description. Les normes peuvent être des suppositions tacites cachées dans les descriptions de telle manière qu’elles semblent agir comme des contraintes invisibles ou des « non-devoirs » moraux. L’auteure ou la culture même peuvent parfaitement ne pas être conscientes de cette portée éthique mais agir néanmoins en accord avec ce quelle dicte. Puisque le langage contient la culture, lorsqu’il évolue, la culture se modifie également de bien des manières. En examinant les modifications dans les descriptions de la nature, nous pouvons percevoir quelque chose des changements de valeurs culturelles. Etre conscient de l’interconnectivité des affirmations descriptives et normatives, c’est être capable d’évaluer les changements de fin d’un cycle en observant les prémices d’un nouveau 3.

Ce n’est pas seulement l’image de la nature comme mère nourricière qui contient des conséquences éthiques, mais le cadre organique en tant que tel comme système conceptuel qui porte avec lui un système de valeurs qui lui sont associées. Les philosophes contemporains ont défendu l’idée qu’une théorie normative donnée est liée à un certain cadre conceptuel plutôt qu’à un autre. Ce cadre contient certaines variations structurelles et normatives, et en rejette d’autres qui appartiennent à un cadre alternatif ou concurrent 4.

On ne peut pas valider un cadre explicatif et rejeter les jugements de valeur qui lui sont associés parce que les connexions avec les valeurs associées ne sont pas fortuites. Les innovations commerciales et technologiques peuvent toutefois contrarier et saper la structure conceptuelle établie. De nouveaux besoins humains et sociaux peuvent menacer les contraintes normatives associées et ce faisant en réclamer de nouvelles.

Alors que le cadre organique a été pendant de nombreux siècles suffisamment intégratif pour contourner le développement commercial et l’innovation technologique, l’accélération de tels changements en Europe de l’Ouest au cours des XVIe et XVIIsiècles commença à saper l’unicité organique du cosmos et de la société. Puisque les besoins et les buts de la société dans son ensemble ont évolué avec la révolution commerciale, les valeurs associées à la vision organique de la nature ont cessé d’être valides ; par conséquent, la plausibilité du cadre conceptuel fut doucement mais régulièrement mise en cause.

Le géocosme : la Terre comme Mère nourricière

La nature était considérée comme féminine au sens large, mais la terre, ou le géocosme, était également considérée universellement comme une mère nourricière – sensible, vivante et réactive à l’action humaine. Les changements de représentation et d’attitude envers la terre furent d’une importance considérable dans la poursuite du processus de mécanisation de la nature. La terre nourricière allait ainsi perdre ses fonctions de contrainte normative en devenant un système physique, mort et inanimé.

La théorie du macrocosme compare le cosmos au corps, à l’âme et à l’esprit humain, avec des éléments reproductifs mâle et femelle. De manière similaire, la théorie du géocosme compare la terre au corps humain avec son souffle, son sang, sa sueur et son système d’élimination.

Pour les stoïciens, qui fleurirent à Athènes pendant le IIIe siècle av. J.-C. après la mort d’Aristote, et à Rome après le Ier siècle de notre ère, le monde lui-même était un organisme doué d’intelligence. Dieu et la matière étaient synonymes. La matière était dynamique et constituée de deux forces : l’expansion et la condensation – la première dirigée vers l’extérieur, la seconde vers l’intérieur. La tension entre-elles était la force inhérente à la matière, génératrice de toutes les substances, propriétés et formes de vie du cosmos et du géocosme.

Zénon de Cition (env. 304 av. J.-C.) et Cicéron (106-43 av. J.-C.) soutenaient que le monde raisonnait, était sensible et générait des êtres rationnels vivants :

« Le monde est un être animé et raisonnable, puisqu’il produit des êtres animés et raisonnables. » 5

Chaque partie de l’univers et de la terre a été créée pour le bénéfice et le soutien des autres parties. La terre a généré les plantes et leur a offert la stabilité, les plantes ont subvenu aux besoins des animaux, les animaux à leur tour ont nourri les êtres humains ; réciproquement, les qualités humaines ont aidé à préserver ces organismes. L’univers même a été créé pour le bien des êtres rationnels – les dieux et les hommes – mais la prévoyance divine a assuré la sécurité et la préservation de toute chose. Le genre humain a été doté des moyens de transformer les ressources terrestres et de les dominer, le bois était destiné à construire maisons et bateaux, le sol à l’agriculture, le fer au labourage, et l’or et l’argent aux ornements. Chaque partie et imperfection existait pour le bien et la perfection ultime de l’ensemble.

Le caractère animé de l’organisme monde impliquait non seulement que les planètes et les étoiles étaient vivantes, mais que la Terre également était imprégnée d’une force apportant vie et mouvement aux êtres vivants qui la peuplent. Sénèque (4 av. J.-C. – 65 apr. J.-C), stoïcien romain, affirmait que le souffle de la terre alimentait simultanément la croissance à sa surface et les corps célestes via ses exhalaisons quotidiennes :

« Comment suffirait-elle à l’entretien de tant de racines si différentes les unes des autres, plongées dans son sein, de mille manières diverses, les unes presque à la surface, les autres à de grandes profondeurs, si elle n’avait en elle des flots de cet air qui donne naissance à tant d’êtres si variés et dont la respiration les alimente et les nourrit ? […] tous ces corps énormes tirent de la terre leurs aliments et les partagent ensemble : les exhalaisons de la terre, voilà les seuls mets […] La Terre ne pourrait nourrir une telle quantité de corps si vastes […] si elle n’était remplie de cet air respirable qu’exhalent, nuit et jour, toutes ses parties. » 6

Les sources de la terre étaient semblables au système sanguin humain; ses autres fluides divers s’approchaient du mucus, de la salive, de la sueur et des autres formes de lubrification du corps humain, la terre étant organisée :

« comme le corps humain, qui a des veines et des artères, les premières pour contenir le sang, les autres, l’air. La conformité est si grande entre la masse terrestre et le corps humain que nos ancêtres en ont tiré l’expression des veines d’eau. » 7

Tout comme le corps humain contenait du sang, de la moelle, du mucus, de la salive, des larmes et des fluides lubrificateurs, la terre comprenait divers fluides. Des liquides qui durcissaient en métaux, comme l’or et l’argent, tandis que d’autres fluides se transformaient en pierres, en bitumes et veines de sulfure. Comme le corps humain, la terre exsudait de la sueur :

« Souvent aussi les gouttelettes éparses d’un fluide délié se rassemblent, comme la rosée, et se réunissent dans un réservoir commun. Les fontainiers donnent le nom de sueur à ces gouttes que fait sortir la pression du terrain ou que fait transpirer sa chaleur. » 8

Léonard de Vinci (1452-1519) élabora l’analogie entre les eaux de la terre et le flux et le reflux sanguins dans le cœur et les veines du corps humain :

« L’eau s’écoule des rivières jusqu’à la mer et de la mer aux rivières, suivant toujours le même circuit. L’eau surgit depuis les profondeurs absolues de la mer jusqu’aux plus hauts sommets des montagnes, où, suivant la découpe des veines, elle se précipite et retourne vers la mer, grimpe de nouveau en empruntant les embranchements veineux et retombe, allant et venant ainsi de bas en haut, parfois à l’intérieur, parfois à l’extérieur. L’eau agit comme le sang des animaux, toujours en mouvement, surgissant du cœur et grimpant jusqu’au sommet de la tête. » 9

Le système veineux terrestre était plein de métaux et minéraux. Ses veines, veinules, jonctions et canaux, parcouraient l’ensemble de la terre, en particulier les montagnes. Ses humeurs s’écoulaient des veinules vers des veines plus larges. La terre, comme le corps humain, possédait même son propre système d’évacuation. Leur tendance commune à briser les vents causait, pour l’une, des tremblements de terre et, pour l’autre, un type de séisme différent :

« La cause matérielle des tremblements de terre […] est sans aucun doute la forte abondance de vents, ou la réserve de vapeurs sèches et denses, et les esprits, promptement enfermés et emprisonnés dans les caves et les donjons de la terre ; lesquels vents et vapeurs, cherchant à se libérer et à retourner à leur gîte naturel, dans d’importantes émanations, déferlent avec violence et, en quelque sorte, brisent leur prison, laquelle éruption forcée et lequel souffle puissant, causent les tremblements de terre. » 10

Les entrailles de la terre recelaient une multitude de canaux, de chambres de combustion, d’orifices et de fissures, d’où étaient émises chaleur et feu, certaines sous forme d’ardentes exhalations volcaniques, d’autres comme sources d’eau chaude. L’analogie la plus fréquente était toutefois celle entre les capacités nourricières et reproductives féminines et l’aptitude de la Terre-Mère à donner naissance aux métaux et aux roches dans son ventre, par le biais de son union avec l’ensemble.

Dans son De Rerum Natura de 1565, le philosophe italien Bernard Telesio faisait référence au mariage des deux grands pouvoirs masculin et féminin :

« Nous pouvons constater que le ciel et la terre ne sont pas simplement de vastes parties de l’univers, mais sont primordiaux – même à l’échelon principal […]. Ils sont comme le père et la mère de tous les autres. » 11

La terre et le soleil tenaient lieu de père et mère de la création tout entière : toutes choses « sont issues de la terre et du soleil, ainsi dans la constitution de toute chose, la terre et le soleil interviennent respectivement en tant que mère et père ». Selon Giordano Bruno (1548-1600), chaque être humain était « citoyen et serviteur du monde, fils du Père Soleil et de la Terre-Mère » 12.

Une croyance alchimique largement répandue était celle de la croissance et transformation des métaux de base en or dans les matrices utérines terrestres. La présence d’argent dans les minerais de zinc, ou d’or dans les tests argentés, était la preuve que cette transformation était souterraine. Tout comme l’enfant croissait dans la chaleur du ventre maternel, la croissance des métaux était stimulée par l’action de la chaleur, certains espaces sous la croûte terrestre étant plus chauds et accélérant par là même le processus de maturation.

« Procurant à l’or, l’argent et aux autres métaux des pouvoirs végétatifs par lesquels ils pouvaient se reproduire eux-mêmes. Puisqu’il était impossible à Dieu de ne pas engendrer la perfection, il donna à toutes choses créées, en plus de leur existence, le pouvoir de multiplication. »

L’action du soleil sur la terre ne nourrissait pas seulement les plantes et les animaux mais également :

« Les métaux, les pierres brisées sulfuriques, bitumeuses et azotées ; […] tout autant que les plantes et les animaux – s’ils ne proviennent pas de l’action du soleil sur la terre, il est impossible d’imaginer par quel biais ils pourraient être constitués. » 13

Le ventre de la terre était la matrice ou la mère non seulement des métaux mais aussi de toute chose vivante. Paracelse comparait la terre à une femme dont le ventre nourrissait toute vie :

« La femme est semblable à la terre et à tous les éléments, et en ce sens elle peut être considérée comme une matrice ; elle est l’arbre qui pousse sur la terre et l’enfant est comme le fruit qui naît de l’arbre […] La femme est à l’image de l’arbre. Tout comme pour la terre, ses fruits et les éléments sont créés pour le bien de l’arbre et dans le but de subvenir à ses besoins, de même les membres de la femme, toutes ses qualités et sa nature entière existent pour le bien de sa matrice, de son ventre […]. »

Ainsi la femme, à sa manière, est aussi un champ de la terre, dont elle ne diffère en aucune manière. Elle le remplace, à proprement parler; elle est le champ et le jardin façonné dans lequel l’enfant est ensemencé et planté 14.

« La terre dans la philosophie paracelsienne était la matrice ou la mère qui donnait vie aux plantes, aux animaux et aux hommes. »

L’image de la terre comme nourrice, qui a fait son apparition dans l’ancien monde dans le Timée de Platon et les Tables d’émeraude d’Hermès Trismégiste, fut une métaphore populaire de la Renaissance. Selon l’alchimiste du XVIe siècle Basile Valentin, toutes choses poussaient dans le ventre de la terre, qui était vivant, vital, et nourrissait toute vie :

« Le pouvoir d’accélération de la terre produit toute chose qui croît d’elle, et celui qui affirme que la terre n’a pas de vie émet une affirmation largement contredite par les faits. Ce qui est mort ne peut pas produire la vie et la croissance, étant dénué de tout esprit d’accélération […] Cet esprit est la vie et l’âme qui résident dans la terre et sont nourries par les influences célestes et sidérales […] Cet esprit est lui-même nourri par les étoiles et rendu par là même capable de communiquer des nutriments à toute chose qui croît et à les nourrir comme une mère son enfant lorsqu’il est dans son ventre […] Si la terre était désertée par son esprit, elle serait morte. » 15

De manière générale, la vision de la Renaissance voulait que toute chose soit imprégnée de la vie, il n’y avait pas de méthode appropriée par laquelle statuer entre l’inanimé et l’animé. Il était difficile de différencier les choses vivantes et non vivantes en raison de leur ressemblance structurelle. A l’instar des plantes et des animaux, les minéraux et les gemmes étaient emplis de petits pores, de minuscules tubes, cavités et stries, par lesquels ils semblaient se nourrir eux-mêmes. Les sels cristallins étaient comparés aux plantes dans leurs structures, mais les critères de distinction entre vivant et non vivant ne purent être formulés avec succès. Ceci était le résultat non seulement du contexte vitaliste de l’époque mais aussi des similitudes frappantes qui existaient entre eux. Les minéraux étaient considérés comme possédant à un degré moindre un esprit végétatif, puisqu’ils intervenaient dans l’action médicale et prenaient parfois la forme de diverses parties des plantes. En vertu de l’esprit végétatif, les minéraux et les pierres croissaient dans le corps humain, les enveloppes animales, les arbres, l’air et l’eau, ainsi qu’à la surface de la terre, à l’air libre 16.

La littérature populaire de la Renaissance contient des centaines d’images associant la nature, la matière et la terre au sexe féminin. La terre était vivante et considérée comme une femme bienfaisante, sensible et nourricière. Pour la plupart des auteurs, il existait un mélange de traditions basé sur des sources anciennes. De manière générale, l’animisme omniprésent à l’égard de la nature a créé une relation d’immédiateté avec l’être humain. Une relation de personne à personne, dans laquelle la nature était considérée comme une personne au sens large, était suffisamment courante pour que subsiste la tendance ancienne à la considérer comme un autre humain. Une telle imagerie vitaliste était ainsi si largement acceptée par l’esprit de la Renaissance qu’elle fonctionnait effectivement comme une contrainte éthique.

D’une manière quasiment similaire, le système culturel de croyances de nombreuses tribus natives-américaines a subtilement guidé le comportement de groupe envers la nature durant des siècles. Smohalla, de la tribu du bassin de Columbia, donne voix aux objections indiennes face au comportement européen de la moitié du XIXe siècle :

« Tu me demandes de labourer le sol ! Dois-je m’équiper d’un couteau et déchirer la poitrine de ma mère ? Alors, quand je mourrai, elle ne m’accueillera pas en son sein pour que j’y repose. Tu me demandes de creuser à la recherche de cailloux ! Dois-je creuser sous sa peau jusqu’à ses os ? Alors quand je mourrai, je ne pourrai pas rentrer dans son corps pour naître de nouveau. Tu me demandes de couper l’herbe, d’en faire du foin et de le vendre, et de devenir riche comme les hommes blancs ! Mais comment oserais-je couper les cheveux de ma mère ? » 17

Dans les années 1960, les Natifs-Américains sont devenus un symbole de la recherche d’alternatives au comportement occidental au sein du mouvement écologiste. Le système de croyance animiste indien et la vénération de la terre comme mère contrastait avec l’héritage judéo-chrétien de la domination de la nature, ainsi qu’avec les pratiques capitalistes d’où résultait la « tragédie des biens communs » (l’exploitation des ressources disponibles pour n’importe quel usage personnel ou national) 18. Mais comme nous le verrons, la culture européenne était bien plus complexe et variée que ce qu’autorise ce jugement. Cela revient à ignorer la philosophie de la terre nourricière de la Renaissance autant que les philosophies et les mouvements sociaux de résistance au changement de l’économie mainstream.

Les contraintes normatives opposées à l’exploitation du ventre de la Terre

Si les affirmations descriptives et les représentations du XVIsiècle peuvent opérer comme une contrainte éthique, et si la terre était largement considérée comme mère nourricière, une telle imagerie fonctionne-t-elle alors comme une norme opposée à un usage impropre de la terre ? On peut trouver la preuve que c’était bien le cas dans les théories de l’origine des métaux et dans les débats autour de l’exploitation minière qui prévalaient pendant le XVIe siècle.

Quelles idées morales étaient soutenues par les premiers auteurs modernes à propos de l’extraction de métaux des entrailles de la terre vivante? Le compilateur romain Pline l’Ancien (23 apr. J.-C. – 79), dans son Histoire naturelle, avait spécifiquement alerté contre l’exploitation des profondeurs de la Terre-Mère, faisant l’hypothèse que les tremblements de terre étaient l’expression de son indignation face aux intrusions dont elle faisait l’objet :

« Nous creusons obstinément toutes les veines de la terre et […] nous nous étonnons qu’elle s’entrouvre parfois ou se mette à trembler, comme si, en vérité, l’indignation de notre mère sacrée ne pouvait se manifester de cette façon ! Nous pénétrons dans ses entrailles et cherchons des richesses […] pensant que la terre n’est pas assez généreuse et fertile là où nous la foulons aux pieds ! » 19

Il en arrive à affirmer que la terre a caché à la vue ce quelle ne souhaitait pas voir perturbé, considérant que ses ressources ne devraient pas être épuisées par l’avarice humaine :

« Pourtant c’est de fait à sa surface que la terre nous offre les plantes médicinales, et les céréales, en abondance et toujours prêtes, comme elle l’est elle-même, à suppléer à tout ce qui nous est utile. Mais ce qui cause notre perte, ce qui nous mène dans les enfers, ce sont les matières qu’elle a soustraites à notre vue, qui sont cachées dans ses profondeurs et qui ne se forment pas en un jour. [De la sorte, notre imagination, s’élançant dans le vide, calcule] quand nous aurons fini d’épuiser la terre et jusqu’où pénétrera notre cupidité ! » (Idem)

Voici un exemple frappant de la force contraignante de l’image de la mère bienfaisante – la terre vivante dans sa sagesse s’est positionnée contre l’exploitation des métaux en les enfouissant dans les profondeurs de son ventre.

Alors que l’exploitation de l’or a mené à l’avarice, l’extraction de fer fut la source de la cruauté humaine sous la forme de guerres, de meurtres et de rapines. Ses usages devraient être limités à l’agriculture et aux activités qui contribuent à « honorer une vie plus civilisée » :

« Car c’est avec le tranchant du fer qu’on laboure la terre, qu’on l’ouvre pour y planter les arbres fruitiers ; qu’on rajeunit, tous les ans, la vigne, et qu’on la décharge du vieux bois qui la ferait mourir. C’est avec le fer que nous bâtissons, taillons les pierres et fabriquons tant d’outils utiles pour la vie de tous les jours. Mais c’est aussi par le fer qu’ont lieu les guerres, les meurtres et les brigandages […] au moyen d’armes de près et de missiles légers et volant, lancés par des machines ou par des bras d’hommes […] Pour que la mort atteigne plus promptement nos semblables, nous lui avons donné des ailes et métamorphosé le fer en oiseau. Déchargeons la Nature de nous avoir créés mortels ; ce n’est plus elle qui nous détruit, c’est nous qui lui donnons la mort. » (Ibidem)

Dans le passé, a souligné Pline, des instances ont fait passer des lois afin de prohiber la rétention d’armes et s’assurer que le fer était employé uniquement à des fins innocentes, comme pour cultiver les champs.

Dans Les Métamorphoses (an I), le poète romain Ovide écrit au sujet de la violence faite à la terre durant l’âge de fer, lorsque le diable se déchaînait sous la forme de la ruse, de la malhonnêteté, du complot, de l’escroquerie et de la violence, lorsque les hommes creusaient les entrailles de la terre à la recherche d’or et d’argent :

« A un sol fécond on ne demandait plus seulement des moissons et des nourritures normales : on pénétra les entrailles de la terre, et l’on déterra les richesses qu’elle y avait cachées, reléguées près des ombres du Styx, ces richesses sources de malheurs. Bientôt, on découvrit le fer malsain et l’or, plus malsain encore. Et la guerre apparut. » 20

La violation de la Terre-Mère engendra de nouveaux monstres, nés du sang de son massacre :

« Alors le père tout-puissant lança sa foudre et fracassa l’Olympe, fit s’écrouler le Pélion, l’arrachant à l’Ossa placé sous lui. Comme ces corps redoutables gisaient écrasés sous leur masse, on dit que la Terre, inondée par l’abondance du sang de ses enfants, en fut imprégnée et donna vie à ces flots de sang encore chauds, puis, dans la crainte de ne voir subsister nulle trace de sa race, les transforma en êtres à face humaine. Mais cette génération aussi méprisa les dieux et, particulièrement avide de carnage et de cruauté, se livra à la violence : on pouvait voir quelle était née du sang. » 21

Sénèque déplora également l’activité d’exploitation minière bien que contrairement à Pline et à Ovide, il ne considère pas cela comme un vice nouveau, mais transmis depuis les temps anciens.

« Quelle impérieuse nécessité a courbé l’homme si bas, fait pour regarder les deux ? Qui a pu l’enfouir et le plonger au sein même des entrailles du globe pour en exhumer l’or ? »

Non seulement l’exploitation minière retire les trésors de la terre mais créé également « des fleuves immenses, de vastes réservoirs d’eau dormante […] spectacle qui remplit d’effroi » 22. La dégradation des eaux terrestres était alors une conséquence notoire de la quête des métaux.

Ces anciennes exhortations contre l’exploitation étaient toujours opérantes pendant les premières années de la révolution commerciale lorsque les activités minières, devenues caduques après la chute de Rome, reprirent de plus belle. Au bout du compte, de telles restrictions devaient être mises en défaite par les défenseurs de la nouvelle philosophie mercantile.

Un conte allégorique que l’on dit envoyé à Paul Schneevogel, professeur à Leipzig entre 1490 et 1495, exprimait encore une opposition à l’ingérence minière sur les terres cultivables de Lichtenstadt, en Saxe, zone où les activités minières se développaient rapidement. Dans cette vision allégorique d’un vieil ermite de Lichtenstadt, la Terre-Mère est vêtue d’une robe verte en lambeaux et se tient assise à la droite de Jupiter, représentée dans cette action en justice par « Mercure à la langue bien pendue » qui accuse un mineur de matricide. La déposition est faite par diverses divinités de la nature :

« Bacchus se plaint que ses vignes aient été déracinées pour nourrir les flammes et que ses lieux les plus sacrés aient été profanés. Cérès affirme que ses champs ont été dévastés ; Pluton, que les chocs impulsés par les mineurs résonnent comme le tonnerre dans les profondeurs de la terre, de telle manière qu’il lui est impossible de demeurer en son domaine ; la Naïade, que les eaux souterraines ont été détournées et ses fontaines taries ; Charon, que le volume des eaux souterraines a tellement diminué qu’il est dans l’incapacité de mener sa barque sur l’Achéron et de conduire les âmes jusqu’au domaine de Pluton, et les faunes protestent que les brûleurs de charbon ont détruit toutes les forêts afin de fournir du carburant pour extraire le minerai. » 23

Pour sa défense, le mineur avance que la terre n’est pas une véritable mère, mais une belle-mère diabolique qui cache et dissimule les métaux dans ses entrailles au lieu de les rendre disponibles à l’usage des hommes.

Le conte du vieil ermite nous offre un exemple fascinant de la relation entre images et valeurs. L’ancienne conception de la nature comme mère affectueuse est contrebalancée parles intérêts croissants de l’industrie minière en Saxe, en Bohème et dans les montagnes du Harz, régions nouvellement prospères. Le mineur, représentant ces nouvelles activités commerciales, transforme l’image de la mère nourricière en celle d’une belle-mère qui dissimule diaboliquement son abondance aux yeux de ses enfants méritants et nécessiteux.

L’ouvrage polémique de Cornélius Agrippa, Paradoxe sur l’incertitude, vanité et abus des sciences (1530) réitère certaines des exhortations morales à l’égard de l’exploitation minière, présentes dans les anciens traités, en citant un passage de Pline qui dresse le portrait de mineurs creusant les entrailles de la terre pour en extraire or et fer.

« Ces hommes, déclare-t-il, ont rendu la terre très périlleuse, […] surpassant en témérité et folle hardiesse ceux qui plongent dans les profondeurs de la mer pour chercher des perles. » 24

L’exploitation minière dépouille ainsi la surface de la terre, l’infecte en quelque sorte d’une maladie épidémique.

Si l’exploitation minière devait être libérée de telles restrictions et autorisée en tant qu’activité commerciale, les anciens arguments devraient être réfutés. Cette tâche a été prise en charge par Georgius Agricola (1494-1555), auteur du premier traité « moderne » sur l’exploitation minière. Son De Re Metallica [Traité des métaux, 1556] rassemble les arguments des détracteurs de l’exploitation minière afin de les réfuter et d’en promouvoir l’activité même.

Selon Agricola, ceux qui argumentent contre l’exploitation minière des métaux de la terre le font sur la base que la nature ne désirait pas que l’on découvre ce qu’elle dissimulait en elle :

« La terre ne cache point aux hommes les choses qui leur sont nécessaires et utiles, mais comme une bonne mère leur donne et fait sortir de son sein avec abondance les herbes, les légumes, les moissons et les fruits des arbres. Et si elle cache dans le fond de ses entrailles les minéraux, ce n’est donc pas pour qu’on les en tire. » (idem)

Cet argument emprunté directement à Pline révèle la force normative de l’image de la terre comme mère nourricière.

Un second argument des détracteurs, réminiscence de Sénèque et d’Agrippa, et fondé sur les préoccupations « écologiques » de la Renaissance, est le dérèglement de l’environnement naturel ainsi que les effets polluants de l’exploitation minière.

« Ils insistent encore par ces arguments : les campagnes, disent-ils, sont toutes renversées par les fouilleurs de mines, c’est pourquoi on fit une loi en Italie qui défendit de creuser la terre pour trouver des métaux et de renverser les campagnes, les vignobles et les lieux plantés d’oliviers si abondants. Les bois et les forêts en sont détruits, car il en faut une infinité pour la construction des machines et le raffinement des métaux. Et une fois les forêts détruites, il s’ensuit la destruction des animaux qui les habitent dont la plupart sert de nourriture abondante et délicate à l’homme. Et le minerai une fois nettoyé, l’eau qui a été utilisée vient empoisonner les rivières et les fleuves en faisant mourir le poisson. C’est pourquoi les habitants de ces régions, du fait de la dévastation de leurs terres, de la destruction de leurs bois, de leurs forêts, de leurs rivières, tombent dans une grande disette de toutes les choses nécessaires à la vie ; s’ils n’ont point de bois, ils font plus de dépenses pour bâtir. Il est donc clair qu’il y a plus de perte que de profit à travailler aux mines. » (ibidem)

Agricola devait faire allusion à des lois adoptées par les Florentins entre 1420 et 1485, empêchant les gens des villes de déverser de la chaux en amont des rivières en raison de l’ « empoisonnement ou l’infection des poissons », causant de graves problèmes à ceux qui vivaient en aval. Les lois ont été promulguées à la fois afin de préserver la truite, « un poisson véritablement noble et impressionnant », et pour procurer à Florence « une vaste réserve de ce poisson » 25.

Une telle conscience écologique souffrait toutefois de l’échec de l’exécution des lois mais également de la progression continue des activités d’exploitation minière. Agricola, dans sa réponse aux détracteurs de l’exploitation minière, pointait la congruence de la nécessité de pêcher le poisson et de fabriquer des outils métalliques pour le bien-être de la race humaine. Ses efforts peuvent être interprétés comme une tentative de libérer l’activité minière des contraintes imposées par le cadre organique et par l’image de la terre nourricière, de telle sorte que de nouvelles valeurs puissent autoriser et accélérer son développement.

A l’argument selon lequel les forêts étaient décimées et le prix du bois augmentait, Agricola répondait que la plupart des mines étaient situées dans des zones stériles et mornes. Là où les arbres ont été arrachés dans des zones plus productives, des champs fertiles ont pu prendre place dont le profit généré est susceptible de rembourser les habitants locaux de leur perte en bois. Là où les animaux et les oiseaux ont été éradiqués dans des opérations minières, les profits ont pu être réemployés à acquérir de nombreux oiseaux, ainsi que « des animaux bons à manger et du poisson » pour repeupler la zone.

Les vices associés aux métaux – la colère, la cruauté, la discorde, la passion du pouvoir, l’avarice et la convoitise – devraient au contraire être attribués à la conduite des hommes :

« Ce n’est ni l’or ni l’argent qui sont à blâmer, mais les mauvaises passions des hommes qui s’enveniment et s’enflamment; et la cause en revient aux désirs aveugles et impies de leur âme. » 26

Les arguments d’Agricola sont une tentative consciente de séparer les contraintes normatives plus anciennes de l’image des métaux en tant que tels, afin qu’ils puissent ensuite être auréolés de nouvelles valeurs.

Le traitement réservé à la Terre-Mère par Edmund Spenser dans La Reine des fées [Faerie Queene, 1595] est représentatif du conflit d’attitudes rivales vis-à-vis de l’exploitation minière de la terre. Spenser prend pleinement part aux débats du XVIe siècle autour de la sagesse de l’exploitation minière, les deux plus grands péchés commis envers la terre étant, selon lui, l’avarice et la luxure. Les arguments associant l’exploitation minière avec l’avarice se retrouvent dans les textes anciens de Pline, d’Ovide et de Sénèque, alors qu’à l’époque de Spenser les sermons de Johannes Mathesius, intitulés Beregpostilla, oder Sarepta (1578), invectivaient contre les conséquences morales de l’avidité humaine pour les richesses créées par l’exploitation minière 27.

Dans le poème de Spenser, Guyon présente ses arguments contre l’exploitation minière tirés d’Ovide et Agricola, en décrivant la forge de Mammon d’après les illustrations du De Re Metallica. L’or et l’argent polluent l’esprit et corrompent les valeurs humaines tout comme l’exploitation minière pollue les « courants les plus purs » du ventre de la terre :

« Alors il leva une main maudite sur le ventre silencieux
De sa Mère la Terre lui infligeant des blessures d’acier,
Et il déterra, sacrilège, les trésors cachés,
Dans sa tombe sacrée. Desquels il fit
Aussitôt la matière,
De son désir insatiable
Et de son orgueil prétentieux. »

(Spenser, The Faerie Queene, 1758, Livre II, Chant 7, verset 17)

La terre du poème de Spenser est passive et docile, autorisant toute forme d’agression, de violence, de mauvais traitement, de viol avide, de spoliation par avarice. Elle n’est plus mère nourricière, elle procure aveuglément la chair de toute vie, comme chez Ovide, et par manque de jugement fait surgir monstres et créatures démoniaques. Sa progéniture s’effondre et la mord en agonisant. Les nouvelles activités minières ont altéré la terre qui, de mère d’abondance est devenue victime sans défense de viols perpétrés par les hommes.

Le Paradis perdu de John Milton (1667) prolonge l’image d’Ovide, puisque Mammon mène des « bandes de pionniers armés de pics et de bêches » blesser la terre femelle vivante :

« Par lui d’abord, les hommes aussi, et par ses suggestions enseignées, saccagèrent le centre de la terre, et avec des mains impies pillèrent les entrailles de leur mère, pour des trésors qu’il vaudrait mieux cacher. Bientôt la bande de Mammon eut ouvert une large blessure dans la montagne et extrait de ses flancs des côtes d’or. » 28

Non seulement l’exploitation minière encourage le péché mortel d’avarice, mais elle est également comparée par Spenser au second grand péché humain, la luxure. Creuser dans les matrices et les poches de la terre à la recherche de métaux revient à extraire du plaisir de la chair des femmes. L’imaginaire des XVIe et XVIIe siècles a perçu une corrélation directe entre l’exploitation minière et le fait de creuser dans les coins et recoins du corps féminin. L’exploitation minière et le sexe représentent tous deux pour Spenser un retour à l’animalité et à la mucosité terrestre. Dans La Reine des fées, la luxure est le plus vil de tous les péchés humains. Répandre le sang humain, dans la course au viol de la terre pour l’or, souille et trouble les champs autrefois fertiles 29.

Les sonnets du poète et prédicateur John Donne (1573-1631) utilisent également l’identification populaire faite entre l’exploitation minière et la luxure humaine. Le poème L’Alchimie de l’amour s’ouvre sur une image sexuelle :

« Ayant plus loin que moi d’amour fouillé la mine / D’aucuns diront le centre où son bonheur s’affine. » 30

L’amant platonique à la recherche de l’expérience amoureuse idéale ou « centrique » commence par creuser les chairs de la femme, acte aussi avilissant pour l’être humain que l’exploitation minière des métaux pour la terre féminine. La joie ne se conquiert pas par avarice d’or et d’argent, comme on ne peut produire l’élixir alchimique à partir des métaux de base. De même, l’amour idéal ne résulte pas de l’ascension de l’échelle hiérarchique depuis l’amour sexuel jusqu’à l’amour de la poésie, de la musique et de l’art, jusqu’à l’amour platonique le plus élevé, du bien, de la vertu et de Dieu. La même équation apparaît dans l’Elégie XVIII, Le Voyage d’amour :

« On fouillerait en vain les sphères et le ciel : Cupidon n’y est point. C’est un dieu des Enfers, et qui gîte sous terre, Près de Pluton, où l’or et les flammes prospèrent ; Les hommes pour ces dieux disposaient leurs tisons Non point sur les autels, mais dans des trous profonds. On voit tourner maint astre au-dessus de la terre : C’est la terre pourtant qu’on cultive et vénère ; Ainsi nous contemplons ses mots, son cœur, ses airs, Et ses vertus, mais seul son Centre nous est cher. » (ibidem)

Luxure et amour du corps ne conduisent pas à l’amour céleste d’idéaux plus élevés ; l’amour physique est plutôt associé aux gouffres et aux trous du corps féminin, tout comme l’amour de l’or dépend du creusement des cavernes de Pluton dans la terre féminine, « la terre pourtant qu’on cultive et vénère ». L’amour de la part sexuelle « centrique » de la femme ne mènera pas à l’amour spirituel aérien de la vertu. L’association fatale du revenu monétaire avec l’avarice humaine, la luxure et la mine féminine surgissent de nouveau à la fin du poème :

« Nature, riche et sage, aux femmes a donné Deux trésors, dont l’accès est de sens opposé ; Qui dans l’inférieur prétend faire largesse Doit suivre le chemin qui conduit à sa caisse. » (ibidem)

L’avarice et l’avidité envers l’argent corrompent l’âme, comme la convoitise de la chair des femmes corrompt le corps.

La comparaison de la mine féminine avec les nouveaux filons américains d’or, d’argent et de métaux précieux apparaît de nouveau dans l’Elégie XIX, Le Coucher de sa maîtresse. Toutefois, Donne retourne l’image et s’en sert pour chanter les louanges des vertus de la maîtresse.

« Laisse, laisse quêter ma main buissonnière
Par-dessus, par-dessous, entre, devant, derrière !
Terre-Neuve ! Amérique ! O ma possession,
Qu’un seul homme garnit mieux qu’une garnison !
Ma mine de pierres précieuses ! Mon Empire,
Dont l’exploration m’est bienheureux délire ! » (ibidem)

Entre ces lignes, la comparaison opère telle une approbation – la recherche de pierres et métaux précieux, comme l’exploration sexuelle de la nature ou de la femme, peut bénéficier au royaume ou à l’homme.

Les contraintes morales étaient ainsi clairement affiliées à l’image de la terre féminine de la Renaissance et renforcées par les associations faites avec l’avidité, l’avarice et la luxure. Les analogies étaient néanmoins à double tranchant. Si les nouvelles valeurs connectées à l’exploitation minière étaient positives, et que cette dernière était envisagée comme un moyen d’améliorer la condition humaine comme chez Agricola, alors la comparaison pouvait être retournée. Autoriser l’exploitation minière autorisait le viol ou l’exploration technologique de la terre. Le contexte organique, dans lequel l’image de la Terre-Mère constituait une contrainte morale à l’égard de l’exploitation minière, était littéralement sapé par la nouvelle activité commerciale.

Au XVIIe siècle, Francis Bacon fit faire un pas de plus à la nouvelle éthique à travers des métaphores comparant les mineurs et les forgerons aux scientifiques et aux technologues pénétrant la nature et la façonnant à l’enclume. Le nouvel homme de la science selon Bacon ne devait pas penser que « l’inquisition de la nature est de toute part interdite et défendue ».

La nature doit être « réduite en servitude » et traitée comme « une esclave », mise « sous contrainte » et « modelée » par les arts mécaniques. Les « chercheurs et espions de la nature » ont pour tâche de découvrir ses complots et secrets 31.

Cette méthode, aisément applicable lorsque la nature est mentionnée comme appartenant au genre féminin, dégrade et rend possible l’exploitation de l’environnement naturel. Le ventre de la terre accueille des secrets qui peuvent lui être arrachés via la technologie, pour l’usage et l’avancée de la condition humaine :

« Il y a donc beaucoup de place pour espérer que la nature recèle encore de nombreux secrets d’un excellent usage, n’ayant aucune affinité ni parallélisme avec tout ce qui est déjà connu… Ce n’est que par la méthode que nous employons à présent qu’ils peuvent être rapidement, soudainement et simultanément présentés et attendus. » 32

La dernière étape était de recouvrer et autoriser la domination de l’homme sur la nature. En raison de son éviction du jardin d’Eden (causée par la tentation d’une femme), la race humaine avait perdu « sa domination sur la création ». Avant la Chute, il n’y avait nul besoin de pouvoir ou de domination puisqu’Adam et Eve avaient été rendues souveraines sur toutes les autres créatures. Dans cet état de domination, l’humanité était « comme pareille à Dieu ». Tandis que certains, acceptant la punition de Dieu, obéirent aux exhortations médiévales s’opposant à l’approfondissement des recherches dans les secrets de Dieu, Bacon transforma les contraintes en autorisations. Ce n’est qu’en « creusant encore et davantage dans la mine du savoir naturel » que l’humanité pourra retrouver sa domination passée. Ainsi, « les limites étroites de la domination humaine sur l’univers » pourront être étendues « jusqu’à leurs extrémités espérées » 33.

Bien que la curiosité féminine ait pu causer la chute de l’homme de son domaine offert par Dieu, le questionnement incessant d’une autre femme, la nature, pourrait être employé pour lui faire recouvrer. Ainsi qu’il l’affirme dans The Masculine Birth of Time [La naissance masculine du Temps] : « Je suis venu en vérité, menant à vous la nature avec tous ses enfants pour la mettre à votre service et faire d’elle votre esclave. […] Nous n’avons pas le droit, a-t-il affirmé, d’attendre que la nature vienne à nous. » Au lieu de cela, « la nature doit être attrapée par le toupet, chauve qu’elle est à l’arrière ». Attendre et argumenter subtilement ne « permettent que de s’agripper à la nature, jamais de mettre la main sur elle ni de la capturer » 34.

La nature existe en trois états – libre, dans l’erreur, ou dominée :

« Elle est soit libre et suit son cours normal de développement comme dans les cieux, dans la création animale et végétale, et dans le tableau général de l’univers ; ou bien elle est chassée de son cours normal par la perversité, l’insolence, la précocité de la matière et la violence des obstacles, comme dans le cas des monstres ; ou enfin, elle est mise sous contrainte, façonnée et rendue comme neuve par l’art et la main de l’homme ; comme pour les choses artificielles. » 35

Le premier exemple envisageait la nature comme développement autonome immanent, la nature naturante des aristotéliciens. C’était la vision organique de la nature comme être vivant, croissant, s’épanouissant. La seconde étape était nécessaire à l’explication des dérèglements et monstruosités qui faisaient fréquemment leur apparition et ne pouvaient résulter de l’action divine ni d’aucun autre pouvoir élevé agissant selon ses instructions. Puisque les monstruosités ne pouvaient pas s’expliquer par l’action de la forme 36 ou de l’esprit, elles devaient résulter d’une action perverse de la matière. La matière dans Le Timée de Platon était récalcitrante et devait être façonnée par le démiurge. Bacon décrit fréquemment la matière à partir d’images féminines, comme une « vulgaire catin » :

« La matière n’est pas dépourvue d’appétit et d’inclination à dissoudre le monde et à retomber dans l’ancien chaos. » Elle doit par conséquent être « contrôlée et maintenue en ordre par la prévalence de l’harmonie des choses […] Les vexations de l’art sont très certainement les liens et les menottes de Protée, qui trahissent les luttes ultimes et les efforts de la matière. » 37

Le troisième exemple était celui de l’art (technè) – l’homme opérant sur la nature afin de créer quelque chose de nouveau et d’artificiel. Ici, « la nature reçoit des ordres de l’homme et travaille sous son autorité ». Les mineurs et les forgerons devaient devenir les modèles d’une nouvelle classe de philosophes naturels susceptibles d’interroger et de modifier la nature. Ils ont développé les deux plus importantes méthodes pour s’emparer de ses secrets, « l’un fouillant les entrailles de la terre, l’autre façonnant la nature comme sur l’enclume. » « Pourquoi ne diviserions-nous pas la philosophie naturelle en deux parties, la mine et la forge ? » Puisque « la vérité de la nature réside cachée dans certaines caves et mines profondes », dans le giron de la terre. Bacon, à l’instar des alchimistes à l’esprit pratique, incitait « les studieux à vendre leurs livres et bâtir des forges » et « délaisser Minerve et les Muses, vierges stériles, pour se reposer sur Vulcain » 38.

La nouvelle méthode d’interrogation ne passait pas par des notions abstraites mais par l’enseignement de l’idée selon laquelle « il faudrait en vérité disséquer la nature ». Les instruments de l’esprit fournissent des idées, la main impulse le mouvement et soutient le travail. « Par l’art et la main de l’homme », la nature peut donc être « contrainte hors de son état naturel et être pressée et modelée ». De cette manière, « la connaissance et le pouvoir humain ne font qu’un » 39.

C’est ici, dans l’imagerie sexuelle brutale, que réside la clé de la méthode expérimentale moderne – la contrainte de la nature en laboratoire, la dissection manuelle et mentale, et la pénétration des secrets cachés – langage encore employé de nos jours pour louer les « faits bruts », l’ « intelligence pénétrante », ou encore l’ « idée-force » du scientifique. Les contraintes de l’exploitation minière de la terre se sont retournées en approbations langagières légitimant l’exploitation et le « viol » de la nature pour le bien des hommes.

La méthode scientifique, combinée à la technique mécanique, allait créer un « nouvel organon », un nouveau système d’investigation qui unifierait la connaissance au pouvoir matériel. Les découvertes techniques de l’imprimerie, de la poudre à canon et de l’aimant dans les champs de l’éducation, de la guerre et de la navigation :

« Nous aident à envisager les secrets toujours enfouis dans le giron de la terre. […] Ils n’exercent pas, comme les anciens, un guidage en douceur du cycle de la nature ; ils ont le pouvoir de la conquérir et de la soumettre, de faire vaciller ses fondations. »

Sous l’impulsion des arts mécaniques, « la nature trahit plus pleinement ses secrets… qu’en jouissant pleinement de sa liberté naturelle » 40.

Le cœur de la mécanique, qui a donné à l’homme son pouvoir sur la nature, était le mouvement, c’est-à-dire « l’union et la désunion des corps naturels ». Les arts qui altéraient la matière des choses étaient plus utiles encore :

« L’agriculture, la cuisine, la chimie, la teinture, la manufacture du verre, de l’émail, du sucre, de la poudre à canon, des feux artificiels, du papier, et bien d’autres. »

Mais dans le cours de ces opérations, on était contraint d’agir au sein d’une chaîne causale de connexions ; la nature ne pouvait « pas être commandée à moins qu’on ne lui obéisse ». Ce n’est que par l’étude, l’interprétation et l’observation de la nature que ces possibilités pouvaient être découvertes ; ce n’est qu’en agissant tel un interprète de la nature qu’il était possible de transformer la connaissance en pouvoir. De ces trois catégories de l’ambition humaine, la plus complète et noble était de « s’efforcer d’instaurer et d’étendre le pouvoir et la domination de la race humaine sur l’univers ». De cette manière :

« La race humaine [pouvait] recouvrer le droit sur la nature qui lui appartient par legs divin » 41

A la fin du XVIIe siècle, une nouvelle science mécanique combinée à l’idéal baconien de maîtrise technologique de la nature a aidé à créer la vision du monde moderne. Le noyau de principes féminins qui a subtilement guidé pendant des siècles le comportement envers la terre a cédé la place à une nouvelle éthique de l’exploitation. La Terre-Mère nourricière a été soumise à la science et à la technologie.

Carolyn Merchant

Née en 1936, philosophe écoféministe et historienne des sciences américaine.

Cet article, paru dans Machina Ex Dea : Feminist Perspectives on Technology, Joan Rothsschild (dir.), 1983, et intitulé “Mining the Earth’s Womb”, est une adaptation des chapitres I et VII de l’ouvrage de Carolyn Merchant, The Death of Nature, Women, Ecology and Scientific Revolution, 1980.

Texte traduit et publié dans Émilie Hache (dir.), Reclaim, recueil de texte écoféministes, éd. Cambourakis, 2016.


Notes :

1 Ces « principes féminins » renvoient à la nature, à la terre – son ventre, son utérus, etc. –, aux tempêtes, aux volcans, au monde naturel vivant ; voir sur ce point le chapitre I de The Death of Nature. [NdE]

2 Mircea Eliade, The Forge and the Crucible, Harper & Row, 1962, p. 53-70, 79-96; Forgerons et alchimistes, Champs-Flammarion, 1995.

3 Stanley Cavell, “Must we mean what we say?”, in Philosophy and Linguistics, (éd.) Colin Lyas, Macmillan, 1971, p. 148, 165; Dire et vouloir dire, Cerf, 2009].

4 Charles Taylor, “Neutrality in Political Science”, in The Philosophy of Social Explanation, Alan Ryan (éd.), Oxford, 1973.

5 Cicéron, De la nature des dieux, traduit à partir de l’édition anglaise de 1775 citée par Merchant, ed. T. Franklin, p. 96.

6 Sénèque, Questions naturelles, livre VI, Bibliothèque latine française, œuvres complètes, p. 403.

7 Ibidem, p. 209.

8 Ibidem, p. 211.

9 Cité dans Francis Cornford, Plato’s Cosmology, Liberal Arts Press, 1937, p. 330.

10 Gabriel Harvey cité par Walter M. Kendrick, “Earth of Flesh, Flesh of Earth: Mother Earth in the Faerie Queene”, Renaissance Quarterly n°27, 1974, p. 33-48.

11 Bernard Telesio, De rerum natura iuxta propria principia (1587), traduit à partir de l’édition anglaise citée par Merchant, in Renaissance Philosophy, Modern Library, 1967, p. 308.

12 Giordano Bruno, The Expulsion of the Triomphant Beast (1584), 1964, p. 72 ; L’expulsion de la bête triomphante, Michel de Maule, 1999].

13 B. Telesio, op. cit., p. 309.

14 Paracelse, traduit à partir de l’édition anglaise citée par Merchant, Selected Writings, Princeton University Press, 1951, p. 25.

15 Basile Valentin, The Practica with Twelve Keys (1600), in The Hermetic Museum Restored and Enlarged, Samuel Weiser, 1974, p. 333; Les douze clefs de la philosophie, Minuit, 1956.

16 Frank Adams, The Birth and Development of the Geological Sciences, Dover, 1938, p. 102-136.

17 Cité par T. C. McLuhan, Touch the Earth, Simon and Schuster, 1971, p. 56.

18 Merchant fait ici référence à la thèse tout aussi célèbre que contestée de Garrett Hardin, “The Tragedy of the Commons”, Science n°162, décembre 1968. Pour un état des lieux des enjeux et du contexte dans lequel a été écrit cet article, voir Fabien Locher, “Les pâturages de la guerre froide : Garrett Hardin et la tragédie des communs”, Revue d’histoire moderne et contemporaine n°60-61, 2013, p. 7-36. [NdE]

19 Pline, Histoire naturelle XXXIII, Nature des métaux, Les Belles Lettres, 2002.

20 Ovide, Les Métamorphoses, 1, p. 137-143, cité par Cornélius Agrippa, The Vanity of Arts and Sciences [édition anglaise manquante, NdE], 1694 ; Déclamation sur l’incertitude, vanité et abus des sciences (1530).

21 Idem, p. 155-162.

22 Sénèque, op. cit.

23 Frank Adams, The Birth and Development of the Geological Sciencesop. cit., p. 172.

24 Pline cité par Cornélius Agrippa, The Vanity of Arts and Sciencesop. cit.

25 Richard Trexler, “Measures against water pollution in fifteenth-century Florence”, Viator, Medieval and Renaissance Studies n°5, 1974, p. 463.

26 Agricola, op. cit.

27 Walter M. Kendrick, “Earth of flesh, flesh of earth: Mother Earth in the Faerie Queene”, art. cit.

28 John Milton, Le Paradis perdu, Livre 1, 11, pp. 684-690, trad. Chateaubriand, 1861.

29 Walter M. Kendrick, art. cit.

30 John Donne, Poèmes, NRF, Gallimard, 1962.

31 Francis Bacon, Novum Organum, cité par Merchant dans l’édition de J. Spedding, L. Ellis, D. D. Heath, The Works of Francis Bacon, Cambridge University Press, vol. 4, p. 20, 287, 294.

32 Cité par Léonard M. Marsak, The Rise of Modern Science in Relation to Society, Collier-Macmillan, 1964, p. 45.

33 Bacon, Novum Organumop. cit., p. 247, Valerius Terminus, Of the Interpretation of Nature, in Worksop. cit., vol. 3, p. 217, 219 ; citation tirée de B. Farrington (éd.), The Philosophy of Francis Bacon, Liverpool University Press, 1964, p. 62.

34 Bacon, The Masculine Birth of Time (écrit posthume), in B. Farrington (éd.), The Philosophy of Francis Baconop. cit., p. 62,129,130.

35 Bacon, Of the Dignity and Advancement of Learning, in Worksop. cit., vol. 4, p. 294.

36 Merchant fait ici référence au concept aristotélicien de forme, cf. Aristote, Métaphysique, livre V. [NdE]

37 Bacon, Of the Dignity and Advancement of Learningop. cit., p. 320, 325, 257.

38 Idem, p. 287, 343, 393.

39 Bacon, Novum Organum, op. cit., p. 246, 29, 247.

40 Cité dans B. Farrington (éd.), The Philosophy of Francis Baconop. cit., 1964, p. 96, 93, 99.

41 Bacon, Of the Dignity and Advancement of Learningop. cit., p. 294, 257 et Novum Organum, op. cit., p. 32, 114, 115.